Un monde durable est un monde plurilingue
L’Organisation des Nations Unies a donc adopté, vendredi 25 septembre, 17 Objectifs pour un développement durable. Certes, les précédents Objectifs du millénaire n’ont atteint que des résultats bien mitigés, comme vous l’analysez dans l’édition du Courrier du même jour, mais des résultats tout de même. Et les nouveaux objectifs sont plus ambitieux, introduisant, à côté de la lutte contre la pauvreté, des buts de développement durable pour les pays riches aussi, comme l’objectif n° 8: «Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous». Certes, ces buts peuvent paraître irréalistes pour un délai de seulement quinze ans et dans un monde géré avant tout au profit de quelques-uns. Mais on a pu voir que, déjà, Etats et privés s’engagent à débourser pour la réalisation de ces buts, avec des motivations certes pas toujours désintéressées. Ces objectifs seront aussi source de réflexion pour la société civile, et, comme le rappelle Alliance Sud, «leur réalisation dépendra de la pression que la société civile exercera sur les gouvernements».
Ainsi, cet été, lors du congrès des Espérantistes italiens sur la côte adriatique, les participants, venus de plusieurs continents, se sont penchés sur le thème du développement durable lors d’un séminaire animé par le professeur Mark Fettes, né aux Etats-Unis et vivant actuellement au Canada, président de l’Association universelle d’espéranto (UEA). Cette association faîtière regroupe la plus grande partie des espérantophones du monde, ONG représentée à l’ONU, au Conseil des droits humains et à l’UNESCO. Cette organisation est particulièrement concernée par l’évolution de la société mondiale dans une perspective de développement durable, comme le montre un des buts de son plan stratégique: «Education pour une conscience ouverte sur le monde: contribuer, auprès de tous publics, espérantophones ou non, à une prise de conscience des thèmes mondiaux, en particulier ceux liés à la langue et à la diversité culturelle, à la paix, à la justice et au développement durable.»
Durant ce congrès, les participants se sont montrés particulièrement inquiets du manque d’attention accordé par l’ONU à la question des langues dans le processus de développement durable. Mark Fettes a rappelé qu’au sein des organisations onusiennes, on est habitué à travailler dans un milieu multilingue en utilisant quelques langues nationales, en premier lieu l’anglais. Les systèmes éducatifs nationaux renforcent l’idée qu’une ou deux langues nationales suffisent pour évoluer dans un monde international. «Selon cette vision, l’évolution est un processus qui conduit à une administration unifiée, autonome, industrielle et bureaucratique, fonctionnant rationnellement et sous contrôle démocratique; elle s’accompagne d’un ‘projet linguistique’, un processus soutenant une langue nationale standardisée, autonome, avec une terminologie élaborée et techniquement équipée, qui domine les systèmes éducatifs et politiques.» Ce modèle, élaboré en Europe occidentale et dans ses colonies, est devenu partie d’un «imaginaire social» mondialement influent, notre manière fondamentale de penser la société moderne. Il en découle un manque patent de lien entre les questions linguistiques et d’autres combats sociaux, une confiance dans la technologie et dans l’enseignement de l’anglais, sans aucune évaluation scientifique des résultats réels. Les espérantistes, il est évident, font difficilement confiance à cette stratégie de développement qui néglige aussi facilement le rôle central que joue la langue en tant qu’identité individuelle et solidarité sociale et, pour Mark Fettes, cette construction ne relève pas d’un développement.
Quel est donc le message des espérantistes à ceux qui, comme eux, se battent pour un développement durable? «Que la langue Espéranto vit, qu’elle est employée et qu’elle mérite d’être employée, certainement. Mais aussi:
• qu’un monde durable est un monde plurilingue. Nous sommes un mouvement pour un plurilinguisme juste;
• qu’un monde durable est un monde qui dialogue. Nous sommes un mouvement pour une communication efficace et équitable;
• qu’un monde durable est un monde interculturel. Nous sommes un mouvement pour la diversité culturelle et pour une éducation mondialisée.»
Le problème des langues dans un monde toujours plus interdépendant peut paraître bien secondaire par rapport à la lutte pour la pauvreté et contre la faim. On oublie que l’apprentissage de langues, parfois très étrangères à la culture de base et représentant l’Occident colonisateur, constitue un obstacle énorme à l’éducation pour tous, qui seule peut conduire à une diminution de la pauvreté et à une plus grande justice sociale.