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Hégémonie américaine et stablecoins

(Re)penser l'économie

La présidence de Donald Trump marque un tournant de l’impérialisme américain, notamment via une dollarisation numérique s’appuyant sur une nouvelle innovation monétaire.

Les stablecoins sont des moyens de paiement dématérialisés ayant émergé face à la volatilité des cryptomonnaies. Ils permettent de combiner les avantages des cryptomonnaies (transparence, rapidité, accessibilité) avec la confiance et la faible volatilité des monnaies traditionnelles sur lesquelles elles sont adossées. Les émetteurs garantissent que chaque jeton numérique soit échangeable contre un montant équivalent de devises grâce à leurs réserves en bons du Trésor.

Les autorités financières suisses et internationales alertent sur l’impact des stablecoins sur la souveraineté monétaire des Etats, mais les autorités américaines encouragent leur développement. Les cinq stablecoins ayant la plus importante capitalisation sont adossés au dollar américain, renforçant son rôle d’outil de transaction numérique.

En juillet 2025, les Etats-Unis ont adopté le Guidance and Establishment of a National Stablecoin Innovation Act. Ce GENIUS Act place les stablecoins sous surveillance étatique et s’assure qu’ils servent les intérêts américains. Seuls les acteurs agréés par la Fed peuvent émettre des stablecoins et toute monnaie digitale reconnue par l’Etat doit être adossée au dollar; à défaut, son usage est interdit sur le territoire américain.

En plus de contribuer à la dollarisation de l’économie mondiale, les stablecoins sont un outil de gestion de la dette américaine. Sang Rae Kim (2025)1>Kim, S. R. (2025). Impact macro-financier de la demande de titres du Trésor en stablecoins. démontre que l’émission de Tether impacte significativement le prix des bons du Trésor américain sur le court terme. Le GENIUS Act renforce la demande pour la dette américaine en formalisant le rôle des émetteurs de stablecoins comme des acheteurs structurels de la dette publique, ce qui pourrait les amener à devenir les plus gros détenteurs de dette des Etats-Unis en dehors du pays d’ici à 2030.

Cette nouvelle législation permet donc de stimuler l’économie américaine sans diminuer les dépenses et sans augmenter les impôts grâce à la demande étrangère en stablecoins. La demande pour ces monnaies vient de pays en développement ayant une faible confiance dans leur banque centrale (et donc en leur monnaie nationale) en raison d’une forte inflation locale, une demande en dollars américains non satisfaite et des contrôles des capitaux. Si leur population est qui plus est peu bancarisée, alors les politiques monétaires menées par la Fed, et par extension l’extraterritorialité américaine, seront alors décuplées en raison d’une potentielle propagation rapide de cette dollarisation numérique. Et tant que le cadre légal de l’usage international de ces stablecoins reste autant lacunaire, les Etats-Unis pourront capitaliser dessus à leur bon vouloir, typiquement dans le cadre de guerres commerciales.

Cette nouvelle doctrine américaine rentre dans un processus de reprivatisation de la monnaie (les institutions publiques ont le monopole d’émission que depuis le début du XXe siècle). Les stablecoins, promues par le milieu libertarien, réduisent la force de la puissance publique, la Fed devra assurer la stabilité monétaire tout en étant impactée par de nouveaux risques.

L’historien économique Eric Monnet2>Monnet, E. (2025). Cryptomercantilisme et souveraineté monétaire: le défi des stablecoins américains pour l’Europe. La Lettre du CEPII, (459). (2025) qualifie cette nouvelle stratégie impérialiste de crypto-mercantilisme. Cette nouvelle forme d’alliance entre l’Etat et les entreprises privées est à l’image du mercantilisme classique du XVIIIe siècle où les Etats européens s’appuyaient sur leurs compagnies commerciales pour développer leur hégémonie à l’étranger. Il s’agit d’un nouveau moyen de puissance monétaire sans équivalent dans l’histoire, rendu possible uniquement par la nouveauté des cryptomonnaies.

La dollarisation numérique se place aussi dans un contexte fascisant aux Etats-Unis. L’industrie des cryptos représente la moitié des dons des entreprises versés dans la campagne présidentielle de Donald Trump. Le secteur s’impose comme une nouvelle branche de l’empire financier du président. A ce titre, les stablecoins font partie intégrante du mouvement technofasciste et libertarien outre-atlantique.

Profitant des inégalités Nord-Sud et de la méfiance grandissante contre les Etats et les banques centrales, les Etats-Unis assurent la pérennité de l’hégémonie du dollar et la soutenabilité de leur dette par la même occasion via un projet d’impérialisme monétaire alarmant.

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