Tandis que l’accord [douanier] imposé par Washington suscite la colère suisse (à juste titre), Bruxelles m’offre une perspective singulière: nous intriguons les Européens. J’en mesure la portée en ayant récemment participé à la conférence annuelle de la European League for Economic Cooperation (ELEC), un groupe de pression indépendant établi à Bruxelles et engagé pour l’intégration économique européenne. La Suisse y est représentée par l’association La Suisse en Europe (ASE), qui suit de près les dossiers européens tout en promouvant une meilleure compréhension de notre pays.
Le diagnostic est posé d’emblée: l’Union économique et monétaire européenne reste incomplète faute d’une véritable unité politique entre Etats-membres. L’UE est encore trop dépendante des souverainetés nationales pour avancer des politiques d’innovation, de compétitivité et de croissance à la hauteur des enjeux. Lors d’échanges informels, mes interlocuteurs européens me confient leur émerveillement face au constat de la solidité du franc suisse et de notre économie, qu’ils attribuent à une coordination budgétaire relativement efficace, à un fédéralisme fiscal rigoureux et à une exemplaire stabilité politique.
Plus qu’un système institutionnel vertueux, ils admirent une culture typiquement suisse de l’excellence, de l’unité et de la résilience face aux crises. En outre, à l’heure où la fragmentation partisane et la montée de l’extrême droite fragilisent l’UE, notre modèle consociatif [système de concordance suisse] impressionne également par sa capacité à bâtir un consensus large dans de nombreux domaines politiques.
Quelques incompréhensions persistent néanmoins. Comment la Suisse pourrait-elle se détourner de l’édifice bilatéral, comme le voudrait la droite conservatrice, tant la projection européenne du pays est déterminante pour sa réputation et sa prospérité? Et que penser d’une neutralité dite «active» lorsque les défis sécuritaires exigent davantage de flexibilité en la matière?
L’UE offre ainsi à la Suisse une échelle d’action inédite, notamment en matière de défense et de sécurité économique. En retour, nos fixations sur l’alignement au droit européen nous empêchent de réaliser à quel point notre modèle pourrait en réalité inspirer des réformes européennes indispensables pour son avenir. Car oui, l’UE gagnerait, sous certains aspects, à nous ressembler.
Sommes-nous seulement prêts à renforcer notre présence à Bruxelles et saisir les opportunités d’influence qui se présentent? Encore faut-il que notre classe politique se saisisse de ce constat.