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Une satire qui renvoie dos à dos les riches et les pauvres

Les écrans au prisme du genre

Dans une villa somptueuse nichée dans la garrigue provençale, un couple bourgeois (Philippe/Laurent Lafitte, avocat d’affaires, Laurence/Elodie Bouchez, actrice qui a eu son heure de gloire) passe l’été avec leur fille Garance/Noée Abita qui veut devenir comédienne et qui a invité son petit ami Mehdi/Sami Outalbali. Le couple de gardiens Tony/Ramzi Bedia et Nadine/Laure Calamy qui entretient la propriété habite en contrebas, avec leur fille Marilou, qui a le même âge que Garance.

L’opposition de classe est redoublée par l’héritage colonial puisque Mehdi et Tony sont d’origine algérienne. Les frictions sont immédiates, d’une part entre le couple bourgeois qui manifeste tranquillement son mépris de classe pour le jeune Mehdi qui vient de passer le barreau et cherche un stage comme avocat d’affaires, d’autre part entre les propriétaires et les gardiens, corvéables à merci pendant l’été.

Les gardiens se moquent du snobisme culturel de Philippe, qui utilisent des expressions latines à tout bout de champ, et des exigences vestimentaires de Laurence qui ne supporte pas que Tony circule torse nu dans la propriété quand il y travaille. Leur paternalisme est soigneusement dosé pour les ridiculiser, jusqu’à ce que Tony, un soir de cuite, ne transforme l’hostilité larvée en explosion de colère, au grand dam de sa femme qui va tenter dans un premier temps de recoller les morceaux. La suite est une sorte de bataille rangée où les prolétaires et leurs patrons tentent de se piéger, avec une suite de retournements de situations qui maintient le suspense jusqu’à la tragédie finale, elle-même effacée au profit d’une ultime pirouette.

Si l’on reconnaît le schéma qui a fait le succès du film sud-coréen Parasite (Bong Joon-ho, 2019), le ton de comédie satirique renvoie dos à dos les prolétaires et les bourgeois, les hommes et les femmes, les parents et les enfants, dans une sorte de catalogue où la surenchère le dispute au grotesque.

Les acteurs sont brillants et les dialogues sont souvent percutants, mais il manque un point de vue de classe: le réalisateur dit être lui-même un transfuge de classe et s’identifier au personnage de Mehdi, le jeune avocat d’origine populaire qui voudrait bien se faire accepter par la famille de sa copine, puis qui va tenter de jouer les négociateurs entre patrons et domestiques, en croyant pouvoir ne pas choisir son camp. Le film non plus ne choisit pas son camp, en chargeant presque autant les pauvres que les riches.

De plus, le choix d’un huis clos dans une villa somptueuse (on a vu quasiment la même dans le dernier film de Laurent Cantet Enzo, mais il y avait le chantier en contrepoint), outre qu’il procure le plaisir d’évoluer dans un paysage paradisiaque, évite de se confronter au monde social qui reste hors champ. En ce sens, Classe moyenne (on comprend mal le titre puisque la classe moyenne est la grande absente du film) est typique du cinéma français qui préfère pour des raisons souvent économiques les films «intimistes», tout en privilégiant le ton de la comédie satirique qui s’appuie sur les performances d’acteurices, aux dépens de la vraisemblance.

Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

Classe moyenne, un film français (2025) réalisé par Anthony Cordier, scénario de Jean-Alain Laban et Steven Mitz, adapté par Anthony Cordier et Julie Peyr; avec Laurent Lafitte, Elodie Bouchez, Ramzy Bedia, Laure Calamy, Sami Outalbali, Noée Abita, Maia Zrouki.

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