«Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout.» (Blaise Pascal, Les Pensées).
Lundi matin, parking d’une localité vaudoise face à un abri antiatomique comme la Suisse en compte tant, entrée en service d’un cours de la Protection civile (PC). L’appel vient de se terminer, une cinquantaine d’hommes en orange et kaki – tous sous APG – répondent présents. Les contours du gouffre commencent déjà à se dessiner au bout de mes KS de soldat renégat. Au fond de l’abîme: le néant.
J’en viens alors à me demander si Blaise Pascal, dont la plume sonde parfaitement la vacuité de la condition humaine, a officié de son temps dans les rangs de la PC, institution largement à la hauteur du vide justement si bien décrit par la prose pascalienne.
Le cours est lancé, les jours s’enchaînent, se ressemblent et le constat tombe: personne ne sait, personne ne fait, tout le monde attend que quelqu’un d’autre sache et que quelqu’un d’autre fasse. Les rouages de la Fabrique du vide tournent à plein régime et l’écoulement du temps devient flou, distordu. Dans un errement dû à mon désœuvrement, j’en viens presque à regretter le galbe de la crosse du FASS 90, l’odeur d’échappement du char Léopard et le zèle de l’autorité militaire.
Très vite, on me dit:
– «Oh tu sais, c’est la Protection civile ici.»
Alors, je me reprends et retourne sur Instagram en attendant la prochaine pause. Je me sens con d’avoir voulu lutter contre la prophétie auto-réalisatrice du nivellement par le bas: oui, c’est vrai… c’est la Protection civile ici.
C’est bête pourtant, on en n’est souvent pas loin, de l’utilité, voire du sens. Intervention Covid, plan canicule et autres services rendus à la population plus ou moins bien menés, ces faits d’armes qui tournent en boucle dans la bouche des gradés contractuels comme autant de garde-fous les empêchant, eux aussi, de basculer dans l’abîme.
En attendant, c’est jeudi et j’essaie d’allumer une génératrice pour actionner un marteau piqueur. La mission est de casser les parpaings amenés par la logistique pour une simulation de catastrophe en milieu forestier (les promeneurs nous jettent des regards interrogateurs). Ensuite, on attendra quarante minutes pour redescendre au réfectoire pour manger. Rien à signaler de ce côté, généralement c’est bon: la bouffe comme ultime rempart face au vide. L’après-midi, l’exercice de tirage de charge n’a pas lieu: la logistique a oublié de placer une élingue d’une capacité de deux tonnes. dans la remorque, personne n’a vérifié et on ne peut rien faire sans. Je retourne donc sur Instagram.
Vendredi: rédimat et nettoyage des infrastructures. Convoqué à 8h, premier ordre reçu aux horizons de 11h. Quelques coups de balais, puis je mange une lasagne et je rentre à la maison.
A l’heure où le camp bourgeois vaudois est sur le point de mettre en œuvre une politique d’austérité d’une violence rare au sein de la fonction publique, je n’ai qu’une seule chose à dire: ne pourrait-on pas commencer par s’attaquer au financement de la Fabrique du vide et à la réduction des stocks de marteaux piqueurs dans les garages de la PC?
Gil Mayencourt, une récente ex-recrue, vidée,
Vevey (VD)