Les milieux immobiliers remettent le couvert pour supprimer la protection contre les congés-ventes. A Genève, on se souvient des lois (11408 et 12278) de Ronald Zacharias, ancien ténor de l’aile immobilière du MCG. La première avait été rejetée en votation populaire en 2016 à la suite d’un référendum de l’Asloca, et la seconde refusée au Grand Conseil en mai 2023. Le PLR revient à la charge avec un projet de loi (PL 13025) signé par Cyril Aellen et la cohorte des élus de la Chambre genevoise immobilière.
Ronald Zacharias avait l’habitude d’intituler ses projets de loi par des titres destinés à tromper, comme «Protection et liberté pour les locataires», pour faire passer le retour des congés-ventes en 20161. Cyril Aellen lui emboîte le pas avec son PL 13025: «Pour que les locataires puissent devenir, s’ils le souhaitent, propriétaires de leur propre logement». La ficelle est la même. On prétend soutenir les locataires pour favoriser les spéculateurs. La proposition ne donne en effet aucun droit au locataire d’acheter l’appartement qu’il loue. Elle renforce en revanche le pouvoir du bailleur en ouvrant un champ d’effets pervers.
De la même manière que les assureurs partent à la chasse aux «bons risques», les bailleurs partiront à la chasse aux «bons locataires» pour remplacer les locataires en place. Ils résilieraient les baux sous divers prétextes – besoin personnel d’un proche, vente du logement à un tiers ou pour relouer plus cher à un autre locataire, travaux envisagés dans l’immeuble. Une fois le locataire parti, le bailleur pourra relouer à un tiers capable et désireux d’acquérir le logement après trois ans de location. Vu la dynamique de la Ière Cour de droit civil du Tribunal fédéral (TF), il est même vraisemblable que le bailleur n’ait pas à utiliser un prétexte pour résilier le bail. Les cinq juges qui font la jurisprudence en droit du bail considéreraient très certainement comme «non abusif» le congé donné au locataire en place pour relouer à un nouveau locataire disposant de suffisamment de fortune et de revenus pour acheter au bénéfice de cette loi 13025. Ce raisonnement ne serait pas plus tortueux que celui, déjà admis par le TF, consistant à autoriser le congé donné au locataire en place pour relouer plus cher à un tiers!
En l’état du droit, les bailleurs n’auraient même pas besoin de résilier le bail. Il suffirait d’imposer «librement» au locataire un bail non renouvelable de trois ans – procédé détestable pratiqué largement par la Zurich Assurances, entre autres. Au terme du bail, le locataire n’aura d’autre choix que d’acheter ou de partir.
En tous les cas, les propriétaires et les régisseurs seraient incités à n’attribuer des logements qu’aux locataires ayant les moyens financiers suffisants pour acheter. Même à un prix relativement limité (le prix des logements neufs contrôlé pour un logement ancien! – les partis de droite savent quels intérêts ils défendent…), seul un cinquième de la population est en capacité d’acheter.
Cette loi entraînerait donc une érosion massive des logements locatifs à loyers abordables. Seraient particulièrement visés les appartements ayant des baux plus anciens. Car on ne voit pas quel serait l’intérêt d’un bailleur à vendre un appartement qui lui procure un rendement à deux chiffres à un prix plus bas que celui du marché hors de zone de développement.
En effet, les bailleurs ne vendront bien entendu que les logements dont la qualité ne permet pas facilement d’obtenir un loyer-cible très élevé. Il serait absurde de se séparer des autres. En réalité, cette loi donnerait donc une nouvelle option de profits abusifs pour le bailleur-propriétaire, parce qu’acheter une PPE au «prix moyen des opérations en PPE approuvées par le département en zone de développement durant les trois dernières années» n’est pas forcément une bonne affaire lorsqu’il s’agit d’un logement ancien et que des travaux très coûteux sont nécessaires.
Surtout, l’ensemble des locataires subirait par ailleurs les conséquences de cette loi. Celle-ci n’empêche en effet pas le nouveau propriétaire du bien de le revendre après cinq ans ou de le louer sans limite de prix ou de loyer. Il s’en suivrait une explosion des loyers liée à l’augmentation du capital placé dans un logement individualisé, beaucoup plus élevé que si l’immeuble était resté en bloc, comme l’exige la LDTR (Loi sur les démolitions, transformations et rénovations), pour éviter les ventes à la découpe. La simple consultation des annonces des régisseurs et de la FAO montre que des logements de 4 ou de 5 pièces se vendent entre 1,5 et 4 millions en Ville de Genève! On imagine aisément quel loyer le propriétaire pourrait ensuite pratiquer, sans que le TF n’y trouve à redire.
Ce projet pourrait être adopté vendredi par le Grand Conseil. L’Asloca prépare le référendum 1>La récolte de signatures pourrait débuter samedi 20 décembre. La feuille de signatures sera disponible dès cette date sur son site internet: https://geneve.asloca.ch.
Christian Dandrès, Conseiller national et juriste à l’Asloca. L’auteur de cette chronique s’exprime à titre personnel.
Notes