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Le PAV, quelle politique de la ville?

Le Collectif des associations d’habitant·es émet un point de vue critique sur la politique d’aménagement menée par le désormais ancien conseiller d’Etat Antonio Hodgers. Au centre des préoccupations, le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV), pointé pour insuffisance de logements sociaux, densification excessive et manque d’équipements publics et d’espaces verts.
2. Les tours du projet «Pointe Nord» devant le Bois de la Bâtie (maquette). DR
Genève

A la suite de l’article du Courrier du 7 novembre, «Hodgers, bâtisseur ou bétonneur?», le Collectif des associations d’habitant·es et de quartiers souhaite apporter quelques compléments. Il importe en premier lieu de rappeler les nombreuses critiques et actions menées au cours des douze dernières années. Notamment les diverses protestations contre le projet sur les terrains de la caserne des Vernets1>www.sauvegarde-geneve.ch/vernets (en 2020). et le référendum contre le PLQ «Acacias 1». S’il est vrai qu’en 2013, M. Antonio Hodgers a, en tant que nouveau conseiller d’Etat genevois à la tête de l’Aménagement, hérité de la mission de répondre à la crise endémique du logement en développant les grands projets et nombreux plans localisés de quartier (PLQ) engrangés par ses prédécesseurs, il a pris la responsabilité de présider personnellement le projet de développement urbain le plus important du canton: à savoir le PAV (Praille-Acacias-Vernets).

Les tours: la vraie solution? Le magistrat chargé du Territoire expliquait qu’il faut «construire la ville verticale», ce qui permettrait à la fois de répondre à la forte demande de logements et de libérer le sol. Sauf qu’il est prévu de construire dans le périmètre du PAV une quarantaine de tours hautes de 50 à 175 mètres. A titre de comparaison, les Tours de Carouge atteignent 46 mètres. Or une tour coûte très cher et laisse une empreinte carbone désastreuse. Aux Vernets, la tour, haute de 86 mètres, propose quasi exclusivement des logements de standing qui sortiront du contrôle étatique des loyers dans dix ans (illustration 1). Par contre, les logements d’utilité publique (LUP) sont relégués dans les méga-blocs construits à ses pieds, avec des cours bruyantes, sombres l’hiver et surchauffées l’été. Le tout sur des terrains qui sont aux mains de la collectivité, comme les deux tiers
du PAV.

1. La Tour Swiss Life aux Vernets, haute de 86 mètres. DR

La tour en question appartient à Swiss Life, le plus grand groupe d’assurance-vie de Suisse. Elle est réalisée par la filiale suisse de Bouygues. Alors que le logement est un droit et un besoin fondamental, l’Etat se repose essentiellement sur les gros investisseurs immobiliers – banques, assurances, fonds d’investissement et caisses de pension – dont les objectifs sont avant tout financiers.

On nous vante leur vue panoramique imprenable, certes, mais les tours amplifient la ségrégation sociale: les privilégié·es logé·es avec vues, soleil et tranquillité, les autres entassé·es dans l’ombre. On nous affirme que les tours libèrent du sol, mais il suffit de regarder la photo de la maquette du projet dit «Pointe-Nord»2>Le secteur Praille-Acacias-Vernets comprendra à terme neuf quartiers distincts: Acacias, Vernets, Etoile, Praille-Ouest, Pointe-Nord, Porte-Sud, Grosselin, Grand Parc et Parc des Sports, ndlr. (illustration 2) pour constater que le terrain est totalement bâti. La tour Firmenich, qui culminait à 51 mètres, est écrasée par trois tours massives de quasiment 100 mètres de haut, auxquelles s’ajoutent des bâtiments existants, dont l’hôtel de police. Elles dépassent largement les arbres du Bois de la Bâtie et cachent le paysage depuis les deux belvédères de celui-ci.

De fait, tous les plans localisés de quartier du PAV concentrent les constructions aux dépens d’une aération du bâti, d’espaces verts et d’équipements publics suffisants. Cette configuration se retrouve dans d’autres nouveaux quartiers, comme celui de l’Etang à Vernier, ou celui de Pont-Rouge à Lancy.

Genève, une ville déjà trop dense. A Genève, ville de Suisse la plus densément peuplée par rapport à son territoire, les bâtiments de grande hauteur sont autorisés de manière dérogatoire depuis les années 1960. La commission d’urbanisme de l’époque avait élaboré des directives pour contrôler l’impact de ces constructions et définir où les implanter. Dix ans plus tard, elle constatait avec d’autres commissions que les tours avaient eu pour conséquence d’augmenter la densité des quartiers existants, d’accroître les revenus des promoteurs et de compromettre gravement la silhouette emblématique de Genève. Il convient d’ajouter que les précautions de l’époque visant à protéger les vues sur le remarquable paysage genevois – la Rade et le cirque de montagnes – sont totalement bafouées, au prétexte qu’il s’agit de construire l’aire métropolitaine du Grand Genève.

Aujourd’hui, l’Etat promeut l’inacceptable. Dans le futur quartier de l’Etoile, la densité atteindra le double de celle des Vernets, qui est déjà le triple de celle des Tours de Carouge! Les quartiers du centre-ville continuent à être densifiés par de nouvelles constructions, par des surélévations, par des démolitions-reconstructions. Ne serait-il pas légitime de répartir plus équitablement l’effort de construction sur le territoire cantonal? En effet, l’Office cantonal de la statistique indique que, sur les 8167 logements en construction dans le canton à fin septembre, la majorité se trouve une fois de plus en Ville de Genève (3061 logements)3>Ocstat, statistique du parc immobilier, 11.11.2025.

De son côté, le Rapport LUP de 2024, qui fait le point sur la construction de logements d’utilité publique sur l’année écoulée, montre que sur les 2133 nouveaux logements construits l’an dernier, il n’y a que 23% de LUP. L’objectif de 20% de LUP sur l’ensemble du parc cantonal de logements, fixé depuis dix-huit ans, affiche toujours un déficit chronique puisqu’on atteint seulement 12%.

Des équipements publics insuffisants. Ces dernières années, Antonio Hodgers a largement communiqué sur la quantité de logements construits et sur la qualité des nouveaux quartiers. Pourtant, les équipements publics et les espaces verts n’ont pas suivi. Les réserves foncières où développer ces programmes sont notoirement insuffisantes. Ainsi, au PAV, l’Etat a réduit de moitié les surfaces requises ordinairement pour les écoles primaires, à l’instar de celle des Vernets, coincée entre des immeubles élevés. De plus, faute de terrains, on empile les programmes publics, comme aux Acacias, avec une ludothèque, une bibliothèque, des logements pour réfugié·es et un poste de police situés dans le même bâtiment. Ou encore, on imagine des «campus» universitaires dans des tours, comme aux Vernets et au quai Ansermet.

Quant à la superficie des espaces publics, des chiffres faramineux ont été annoncés. Sauf que l’on confond les surfaces publiques des routes, rues et trottoirs avec celles des cours, des places et des parcs. Durant ses mandats, l’ancien conseiller d’Etat a déclassé très peu de terrains en zone de verdure, et surtout dans des zones périphériques, comme les parcs des Molliers, à Bernex, ou du Molard, à Versoix. Il n’a pas mis la priorité sur les moyens permettant de développer des projets d’espaces publics verts dans les quartiers souffrant d’îlots de chaleur, comme à la Jonction, aux Pâquis ou à Aïre-Concorde.

Construire pour et avec les habitant·es

Enfin, pourquoi construire autant de bureaux sur des terrains publics alors qu’ils devraient pour l’essentiel prendre place sur des parcelles privées? Il y a toujours pléthore de surfaces d’activités vides. Au PAV, 11’900 nouveaux logements sont prévus. Mais aussi des dizaines de milliers de mètres carrés pour 5700 nouveaux emplois, sans compter les 15’000 emplois maintenus4>Source: DT, Direction Praille Acacias Vernets, Groupe de suivi, 26 septembre 2022. Sur les terrains des collectivités publiques, il devient donc urgent de réorienter cette programmation afin d’augmenter la part de logements correspondant aux réels besoins de la population et de limiter drastiquement les bureaux.

Mais il s’agira aussi de prendre d’autres mesures. Conserver – et même acheter – beaucoup plus de bâtiments existants pour maintenir des loyers abordables et pour en transformer certains en équipements publics et culturels; rééquilibrer l’occupation des logements via l’instauration de bourses au logement; imposer la relocation des logements vides et contrôler sérieusement les locations de type Airbnb; enfin, déclasser une partie de la zone 5 (villa) pour y construire du logement collectif. Sur ce point, M. Hodgers s’est contenté de déclasser seulement 10ha sur les 326,5ha du potentiel identifié dans le Plan directeur cantonal.

Plutôt que de densifier à outrance au centre-ville et d’orchestrer un vaste Monopoly au profit de gros investisseurs, il est urgent d’élaborer des alternatives aux projets en cours. Pour réaliser la ville que nous voulons sur la base d’une véritable concertation populaire portant sur les questions essentielles.

Notes[+]

Le Collectif d’associations d’habitant·es et de quartiers (CAHQ) regroupe notamment les quartiers de la Jonction, des Pâquis, des Acacias, du Petit-Saconnex et de la Cluse-Roseraie.