Pour justifier sa politique d’austérité, la présidente du Conseil d’Etat, Christelle Luisier, a osé déclarer: «Le canton n’a pas un problème de recettes, mais un problème de dépenses». Remettons l’église au milieu du village.
1) Le canton de Vaud affiche une situation budgétaire qui ferait pâlir d’envie le plus strict monétariste. Les adeptes de la tronçonneuse – Javier Milei, le président de l’Argentine, et Elon Musk en tête – n’en croiraient pas leurs yeux: une dette d’environ 500 millions, pour un PIB cantonal de 72,4 milliards, soit un taux d’endettement inférieur à 0,7%. Et une «charge d’intérêts» qui n’en est pas une: selon les comptes 2024, l’Etat a perçu quelque 85 millions d’intérêts sur ses placements et créances fiscales. Sans oublier des actifs qui se chiffrent en milliards.
2) S’il existe aujourd’hui des déficits publics, c’est parce que les gouvernements multiplient, tant sur le plan fédéral qu’au niveau cantonal, les cadeaux fiscaux aux possédant·es. La liste est sans fin: réduction massive de l’imposition des dividendes; baisses successives des droits de timbre; démantèlement, canton après canton, des impôts sur les successions; etc. Le canton de Vaud est à l’avant-garde de cette politique de défiscalisation du capital. L’ancien ministre des Finances Pascal Broulis le reconnaissait lui-même: «Au bout de dix ans, nous avons baissé l’impôt pour les entreprises de 3 milliards au total» (L’Agefi, 10 juin 2022).
3) Le Conseil d’Etat passe sous silence l’invraisemblable fraude fiscale organisée autour du «bouclier fiscal». Durant treize ans, les autorités ont sous-taxé illégalement grands patrons et actionnaires – et ce, en toute connaissance de cause. Résultat des courses: une infime minorité a profité, abusivement, d’un cadeau fiscal à hauteur, au bas de mot, d’un demi-milliard de francs. La moindre des choses serait de réclamer l’argent non perçu. Le gouvernement s’y refuse. Il est toujours mené à la baguette par les possédant·es. Bernard Nicod [magnat de l’immobilier romand] le confirme sans détour: «On dit que la loi sur le bouclier fiscal a été mal appliquée. Elle a été appliquée selon les directives des patrons, point!» (Le Temps, 20 novembre 2025).
La politique d’austérité du Conseil d’Etat n’est donc en rien la conséquence «inéluctable» de l’état des finances cantonales. Elle illustre simplement ce que rappelait Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne: «Depuis des décennies, le capital a été mieux rémunéré que le travail. L’équilibre des forces penche manifestement d’un côté.» Les salarié·es du secteur public et du parapublic ne se laissent toutefois pas faire. Leur mobilisation est exceptionnelle. Plus de 8000 grévistes ce 18 novembre, c’est du jamais vu1>Lire notre édition du 19 novembre, ndlr.. Vingt-cinq mille manifestant·e·s dans les rues, c’est aussi un record. Et ça continue de plus belle!
Leur lutte est pleinement justifiée. Le Conseil d’Etat veut prélever une «contribution de crise» de 0,7% sur les salaires. Elle s’ajouterait à la non-indexation. C’est le pire employeur de toute la Suisse! Selon l’enquête annuelle d’UBS (388 entreprises), en effet, «tous les secteurs d’activité prévoient des augmentations de salaire pour l’année prochaine», en moyenne de 1%. Dans le secteur public également, aucun employeur n’envisage une telle ponction salariale.
De plus, le gouvernement s’attaque aux prestations publiques, alors qu’il manque déjà des moyens partout: nouvelles coupes, dont les patient·es paieraient le prix, au CHUV et dans les autres hôpitaux; remise en cause des prestations aux résident·es des EMS, avec une baisse de la qualité des repas et des animations; diminution du financement versé à la Fondation pour l’accueil de jour de l’enfance, alors qu’une place en crèche est déjà hors de prix pour de nombreuses familles; etc. Enfin, à l’image des régimes autoritaires, le Conseil d’Etat refuse carrément de négocier avec les organisations du personnel, un principe démocratique pourtant élémentaire.
Bref, il y a vraiment de quoi poursuivre et élargir la mobilisation. Et il serait temps que les trois ministres qui se prétendent de gauche – iels ont quand même été élu·es sous les bannières du PS ou des Vert·es, pas du Centre patronal! – s’opposent publiquement à cette politique antisociale et dénoncent l’attitude profondément antidémocratique de leurs acolytes, adeptes des limousines premium. Leur silence a assez duré.
Notes