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Les médias de service public, garde-fous de la démocratie

Etablissant le lien entre l’affaiblissement de l’audiovisuel public et le recul du débat démocratique, Bernard Pinget prend position contre l’initiative de l’UDC «200 francs, ça suffit!», qui vise à réduire la redevance radio-télévision et sera soumise aux urnes en mars 2026.
Agora

Depuis des décennies en Suisse, l’extrême droite cherche et parvient à grignoter tous les piliers de la démocratie. Sa méthode: miner celle-ci de l’intérieur en activant nos réflexes les plus simples pour faire évoluer la loi vers toujours plus d’univocité. Elle est ainsi parvenue à faire interdire des minarets qui n’existaient pas; à maintenir dans les foyers suisses, au nom de la tradition, des armes de guerre à l’origine de plusieurs centaines de décès annuels; à attiser la peur de l’étranger, au point que notre pays bafoue les règles universelles de l’asile et alimente financièrement le système européen d’élimination physique des candidat·es à l’asile via l’abominable machine Frontex.

A chaque occasion, le sinistre parti qui ose s’autoproclamer «démocratique» et «du centre», alors que ses accointances avec la fachosphère mondiale sont abondamment documentées, reproduit la recette qui fait sa capacité de nuisance: mettre en jeu des sommes d’argent considérables pour infléchir l’opinion des électeur·rices dans le sens de toujours moins de liberté de parole et de pensée.

Le combat qui s’annonce sur la redevance servant à financer les médias de service public touche le cœur même de cette stratégie. Le 8 mars, nous voterons sur l’initiative «200 francs, ça suffit». Une économie annuelle de 135 francs pour nos ménages, en échange de la suppression de 6000 postes de travail et du passage par pertes et profits de la radio et de la télévision suisses romandes, réduites à des appendices d’un service-alibi piloté depuis Zürich.

Il faut d’abord souligner que le statut des médias de service public en Suisse diffère déjà pour beaucoup de ses équivalents dans les pays voisins. Pour prendre l’exemple le plus proche, les contribuables français·es s’acquittent de la redevance à travers leur feuille d’impôts, avec la simple possibilité d’en être exonéré·es pour un motif valable. Pas de Billag français, ni de Serafe, donc, mais une simple déclaration soumise à des contrôles aléatoires. Pour une fois, la bureaucratie alambiquée n’est pas là où on l’attendait. Mais en Suisse, tout ce qui peut être externalisé doit l’être (comprenons: tout ce qui peut rapporter de l’argent à des entrepreneurs privés doit être organisé de façon à le faire).

Cela étant précisé, l’auditeur·rice suisse romand·e a aussi de quoi être sidéré·e par le degré de critique du pouvoir en place perceptible sur les radios françaises d’Etat. On est loin, mais alors très loin, de la Pravda! Et cela, que l’on se place du temps de Sarkozy, de Hollande ou de Macron. Le rôle de contre-pouvoir est pleinement assumé par le service public (pendant que ses concurrents privés sont tous aux mains de clones locaux de Blocher), ce qui vaut beaucoup mieux qu’une prétendue «objectivité», concept inaccessible souvent traduit par son quasi-synonyme «neutralité», censé être plus facile à comprendre par les ploucs que nous sommes.

Un coup bas a déjà été porté à la radio de service public suisse lors du passage de la FM au DAB+. Un quart de taux d’écoute en moins tout d’un coup! Et quand approche l’échéance où le même traitement doit s’appliquer aux chaînes privées, on s’apprête à leur accorder un délai patiemment prolongé jusqu’à ce que la technologie ait fini d’éliminer le problème. Ainsi, tant que les aîné·es auront encore des radios FM, et que des voitures sans DAB+ circuleront, on prolongera la FM pour le privé. Quand les un·es seront mort·es et les autres à la casse, tout le monde passera au DAB+.

Entre-temps, le service public aura vu ses ressources diminuer d’un tiers. Et au final, n’est-ce pas, la population aura fait «librement» son choix: pour les équipes de joyeux drilles qui s’envoient des vannes entre une pub de grandes surfaces de meubles et un tube composé par l’IA. Contre le journalisme cherchant à documenter le libre arbitre des auditeur·rices.

Le pire, c’est que tout cela est probablement un combat d’arrière-garde: soixante pour cent des citoyen·nes de moins de 30 ans se passent déjà des médias «traditionnels», préférant téter les réseaux sociaux du grand Trump. Mais, heureusement, ce sont les mêmes qui ne votent pas.

* Veyrier (GE).