Malgré son vernis civil, l’initiative «Service citoyen», qui passera en votation ce 30 novembre, ne renforcera que l’armée et en aucun cas le service civil. Si une grande alliance, allant de l’UDC au PS, s’est constituée en opposition au texte, nos oreilles ne peuvent que siffler en entendant des UDC parler d’inégalités de genre autour du travail non rémunéré des femmes. C’est pourquoi notre comité unitaire de gauche s’est formé et défend le «non» selon notre perspective propre.
L’initiative propose d’étendre l’obligation de servir à toute la population, tout en attaquant le service civil. Concrètement, elle supprime la mention du service civil de la constitution et y substitue une garantie de «l’effectif réglementaire […] pour les services d’intervention en cas de crise» (armée et protection civile). Ce critère flou de «crise» représente une porte ouverte à la militarisation massive du pays. En effet, qu’est-ce qui représente une crise aux yeux de nos autorités? La crise climatique, les violences policières et le génocide à Gaza ne semblent, par exemple, pas susciter un sentiment d’urgence chez ces dernières. En revanche, vouloir limiter la population suisse à un critère xénophobe de 10 millions d’habitant·es témoigne de la «crise» fantasmée par le plus grand parti suisse. L’augmentation massive des budgets de l’armée sur fond de guerre en Ukraine témoigne déjà de l’ambiance militariste actuelle et de la «peur» de voir les chars de Moscou traverser le Jura sous peu. Pour la droite, la «crise» est déjà là. Nous n’avons malheureusement que peu de doutes sur la capacité de cette dernière à déclarer une telle situation et à incorporer de force des individus dans l’armée. Le Conseil fédéral a déjà annoncé, dans son interprétation du texte, que le Conseil national aurait à légiférer sur les possibilités de passer du service militaire au service civil si l’initiative était acceptée.
Pour continuer dans les propositions fantasques, l’initiative précise: «La loi définit si et dans quelle mesure un service au bénéfice de la collectivité et de l’environnement est accompli par des personnes qui n’ont pas la nationalité suisse». Pourtant, c’est bien le statut de citoyen·ne et les droits politiques associés qui fondent l’obligation de servir en Suisse. Cela semble une évidence, et presque aucun pays au monde ne demande à des personnes étrangères d’effectuer… un service national. La légion étrangère française, optionnelle et volontaire, permet aux individus d’obtenir la nationalité française après cinq années de service. L’initiative ne prévoit, elle, aucune contrepartie.
Si on en croit le comité d’initiative, astreindre les femmes à l’armée représenterait un pas avant pour l’égalité: une égalité en actes! Les initiant·es témoignent ainsi de leur définition tronquée de l’égalité: une égalité de forme, pas de fond. Le principe d’équité, qui prend en compte les différences matérielles déjà présentes, est ainsi plus adapté. Le travail ménager et de soins aux enfants et autres proches est toujours majoritairement pris en charge par les femmes qui effectuent déjà, par ce biais, un «service citoyen» tout le long de leur vie. Et contrairement au service militaire, ce travail n’est pas rémunéré par l’assurance perte de gains (APG)! De même, l’écart salarial n’est toujours pas comblé, et ce n’est pas en forçant les femmes à quitter le marché du travail une année qu’il se comblera. Pire, puisque les femmes gagnent déjà moins que les hommes, la perte salariale de 20% (l’APG ne couvre que 80% du précédent salaire) sera encore plus durement ressentie par ces dernières. Difficile de croire que ce sont les tirs de Fass 90 qui permettront de briser le plafond de verre. Blick a d’ailleurs révélé que la moitié du budget de campagne de l’initiative a été fourni par Leopold Brügger, un pharmacien zurichois farouchement opposé à l’IVG et en faveur d’un droit de veto des hommes sur les avortements. On repassera pour «l’égalité». Finalement, l’armée est une institution profondément masculiniste. Les travaux de la sociologue Stéphanie Monay sur les casernes suisses et le récent rapport interne sur les violences sexualisées au sein de l’armée suisse le rappellent froidement. Dans l’institution militaire, les femmes sont systématiquement sexualisées. Cette ambiance se traduit par des taux alarmants d’agressions sexistes physiques et verbales: 89,6% des femmes engagées au sein de l’armée déclarent avoir subi de la discrimination genrée et 13% des agressions sexuelles physiques. Les personnes transgenres et non-binaires affichent des taux similaires et les remarques homophobes et transphobes sont monnaie courante. Astreindre les femmes, c’est les incorporer de force dans une institution dont la culture repose sur la violence sexiste.
Ce n’est pas en renforçant l’armée suisse que le pays pourra faire face aux vrais défis de l’avenir comme l’urgence climatique, les revendications pour un salaire et un logement digne pour tous et toutes, le combat contre toutes les formes d’oppressions, le génocide à Gaza et toutes les autres agressions armées impérialistes. Le 30 novembre, votez un grand «non»!