Dans moins de deux semaines, le 30 novembre, le corps électoral de la Ville de Genève aura donné, ou non, à la Municipalité l’autorisation d’acquérir, pour 22 millions au maximum, un domaine de trois hectares et demi et une maison de maître, dans un quartier en densification accélérée, qui manque d’espaces verts à disposition de la population et pas seulement de propriétaires privés. On a bien dit «donné l’autorisation d’acquérir», pas «imposé l’acquisition».
Ce domaine, cette maison ont un nom: la Campagne Masset. Le propriétaire est non seulement d’accord de la vendre à la Ville, mais préférerait la vendre à la Ville plutôt qu’à un privé. Dès lors, seule l’acceptation de la proposition du Conseil municipal d’acquérir cet espace vert et cette maison de maître pourra permettre à la commune d’être maîtresse d’un espace et d’un bâtiment, pour les remettre à la population. A contrario, refuser cette proposition, c’est se préparer à les voir échapper à la Ville et à ses habitant·es, rester dans le domaine privé et la fermeture au public, observer l’accaparement de l’espace par des nababs ou à la fermeture pure et simple de la maison et du parc. Dit comme ça, le choix paraît clair, non? Ben non, pas pour tout le monde.
Une petite compagnie de comptables bornés ayant lancé et fait aboutir un référendum (d’où la votation municipale du 30 novembre) tambourine un exorcisme: ça coûte trop cher. Trop cher? C’est treize fois moins que ce que le canton veut claquer pour construire une deuxième patinoire à Genève – mais peu importe au PLR, au Centre, à l’UDC, à des Verts libéraux dont on mesure bien le libéralisme financier, mais beaucoup moins la verdure: en 2025, à Genève, acheter un bâtiment public et un parc pour affecter le premier à un usage public et ouvrir le second au public, ça serait du gaspillage. Du gaspillage de quoi? Sur la rive droite, du côté des Charmilles et de Saint-Jean, on ne gaspille pas l’espace mis à disposition de la population, on le cherche, parce qu’il manque.
Mais peu importe aux opposants: le nez sur leur boulier, ils comptent les sous, confondent volontairement un crédit d’investissement avec un budget de fonctionnement, bidouillent les chiffres, ignorent ceux qui les gênent, en inventent qui ne reposent sur rien. Nous parlons d’un espace vert, d’un lieu public, d’urbanisme, d’aménagement, de densification, de besoins de la population? Eux répondent en brandissant des coûts d’entretien fantasmatiques, affirment que la propriété étant classée, elle serait «inutilisable» et qu’«une demeure patricienne du XVIIIe siècle (…) ne se prête pas à un usage moderne», comme si les villas La Grange, Bartholoni, Dutoit, Bernasconi, elles aussi classées, n’étaient pas utilisées à ce pour quoi elles sont fonctionnelles. Comme si les parcs des Bastions et La Grange, qui bénéficient des mêmes protections que le domaine Masset, n’avaient pas été aménagés pour être utilisés par la population.
Quand on a le nez sur un boulier, on ne peut pas l’avoir sur un plan de ville: les opposants affirment même que la campagne Masset serait «un lieu isolé, loin du peuple»… Foutaise: elle est au cœur d’un quartier dense et populaire, où le manque d’espaces verts est patent, et qui est en pleine densification (dans deux ans, sa population atteindra le triple de ce qu’elle était il y a douze ans) sans qu’aucun espace public supplémentaire n’y soit prévu – sauf la campagne Masset, si on réussit à la soustraire à la rapacité des privés.
Ouvrir au public un ancien domaine patricien ne serait pas à Genève une nouveauté, ni une originalité – cela procède même d’une tradition: les parcs de l’Ariana, La Grange, Bertrand, des Eaux-Vives, Trembley, de la Perle du Lac, Moynier en témoignent. La Campagne Masset ne déparerait pas dans cette liste, d’autant que cela répondrait à un besoin exprimé depuis longtemps par les habitant·es et les associations du quartier (et des quartiers voisins), et à une utilité pour une population bien plus large, celle qui aime à se promener le long du Rhône, mais aussi pour les enfants des crèches voisines et des élèves du Cycle de Cayla. Cela, sans doute, n’a aucune importance pour des opposants qui préfèrent voir ce bel espace être capté, cette belle maison et cette belle campagne raflées par un nabab pétrolier ou un oligarque russe qu’ouverte à la population…