Samedi, c’était la Journée mondiale de la liberté de la presse. Il en faut une, comme il faut des éloges funèbres. Et c’était aussi la journée mondiale de l’asthme. La coïncidence parle (en toussant): la liberté de la presse, et la presse elle-même, sont asthmatiques. Jeudi, à la manifestation genevoise du 1er Mai, des travailleuses et des travailleurs des médias sont intervenu·es pour dire et redire que soutenir la presse, ça presse. Parce que l’information «renforce notre capacité à penser et notre pouvoir d’agir» et qu’elle est «un rempart essentiel face à l’offensive des forces réactionnaires». C’est d’ailleurs bien pour cela que quand elles en ont le pouvoir (comme désormais aux Etats-Unis), elles s’y attaquent. Et donc qu’il faut la défendre.
Un «Appel aux élu·es, aux politiques et aux collectivités à sauver la presse locale», lancé par Le Courrier le 13 novembre 2024, avait récolté 4500 signatures en trois mois. L’appel proclame que «l’information n’a jamais eu autant de valeur», qu’elle est «un bien commun» mais est «plus que jamais en danger» et que «sans une réaction urgente des acteurs concernés, le risque est grand de voir la presse disparaître». Or «des réponses politiques à la hauteur des enjeux au niveau régional se font attendre» face «à la concurrence déloyale des géants numériques qui pillent» les contenus des journaux et «aux lenteurs dans le dossier de l’aide directe ou indirecte» à la presse, alors qu’il est «indispensable» d’agir pour le «maintien d’une pluralité de médias et en particulier de la presse écrite». Finalement, l’appel évoque pour cela «une série de mesures concrètes à la portée des pouvoirs publics», certaines «rapidement applicables», d’autres «à inscrire sur un plus long terme».
C’était donc un appel. Un appel, ça attend une réponse. Quand on n’attend rien, on n’appelle personne. Ou Dieu, ce qui revient au même. Quelle réponse lui donner, alors, à cet appel? Comme on essaie d’agir là où on sévit, on en a fait un projet de motion au Conseil municipal de Genève, qu’on a déposé hier, avec les signatures de socialistes et d’élu·es d’Ensemble à gauche. La motion reprend de l’appel les mesures les plus rapidement adoptables par la Ville de Genève. Elle se concentre sur le soutien à la presse imprimée (on nous pardonnera ce pléonasme), parce que c’est ce secteur des médias qui est actuellement le plus menacé. Et que c’est aussi le secteur des médias qui reçoit le moins de soutiens plus ou moins spontanés, ou plus ou moins intéressés. Et même, que d’entre les soutiens qu’il reçoit, certains se révèlent inefficaces (comme la prise d’abonnements aux éditions papier des journaux pour les jeunes atteignant les 18 ans: un bide), et que d’autres, si prudents, et même contradictoires qu’ils soient, sont encore contestés par les chevau-légers et les canassons-lourdingues du tout numérique…
En mars, les Chambres fédérales avaient adopté une augmentation de l’aide indirecte de la Confédération à la presse régionale. Une aide modeste, insuffisante (elle passerait de 35 à 85 millions de francs) et grevée d’une lourde hypothèque dans ses intentions mêmes: elle ne vise pas à soutenir la presse écrite, imprimée, mais à faciliter son passage à un format numérique. Mais si modeste, insuffisante, hypothéquée qu’elle soit, cette aide est encore de trop pour la droite de la droite: un référendum a été lancé contre elle par un comité farci de jeunes UDC et PLR, qui s’autoproclame «Team Liberté» et dont le mot d’ordre est de refuser d’accorder «encore plus d’argent pour les médias rétrogrades». C’est quoi, un média rétrograde? C’est un journal imprimé dans lequel on ne lit pas forcément ce qu’on croit déjà savoir. Un journal dans lequel s’expriment des opinions autres que celles qu’on cultive (ou dont on a hérité). Bref, un média rétrograde. Un espace de liberté et de débat, imprimé, sur du papier? Un truc du XVIIIe siècle, quoi.
Pour présenter le projet du canton de Genève d’offrir aux jeunes des abonnements aux journaux, la Chancellerie d’Etat de la Parvulissime République (où la majorité des quotidiens qui paraissaient quand on a commencé à lire les journaux a disparu) proclamait que «la presse représente un pilier du débat public et le fondement d’une démocratie formelle et forte». C’est bien dit. Un peu moins bien compris. Disons que certains acteurs de cette «démocratie formelle et forte» ont tendance à ne comprendre le mot «fondement» que dans son sens corporel.
Raison de plus pour demander, là où on peut encore le faire, et à qui paraît a priori disposé à l’entendre (une Municipalité de gauche, par exemple), de comprendre «fondement» comme il devient urgent de le comprendre, s’agissant de la presse.