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La Palestine, miroir de la dérive autoritaire occidentale

«Les dénonciations, toujours plus importantes au sein des Etats occidentaux, du crime de génocide contre l’Etat d’apartheid israélien ne changent pas les dynamiques liberticides en cours», déplore Joseph Daher, à la lumière des récents événements en France. Analyse.
Politique

Répression et pressions de toute nature se poursuivent contre ceux et celles qui se mobilisent pour la défense du peuple palestinien et de ses droits. Cela touche tous les secteurs de la société. Les autorités françaises ont multiplié ces dernières semaines des arrestations de militant·es de la cause palestinienne du fait de leur engagement politique, en procédant à une instrumentalisation de thèmes tels que «la lutte contre l’antisémitisme» ou en produisant des accusations diffamatoires d’«apologie du terrorisme». Les derniers exemples en date vont de l’interpellation et la perquisition du domicile du militant palestinien exilé en France et membre fondateur d’Urgence Palestine Omar Alsoumi (L’Humanité, 5.11.2025) à l’arrestation de quatre personnes ayant participé à une action symbolique de Palestine Action à la Philharmonie de Paris, où se tenait un concert de l’Orchestre philarmonique d’Israël (OPI) (Le Monde, 9.11.2025).

Loin d’être une institution culturelle neutre – bien que cela ait servi d’argument face aux nombreuses organisations et syndicats demandant l’annulation de l’évènement –, l’OPI, fondé en 1936, se revendique comme le «principal ambassadeur culturel d’Israël dans le monde». La formation s’est produite en avril 2024, en pleine guerre génocidaire, avec des soldat·es de l’orchestre de l’armée d’occupation, à laquelle Lahav Shani, le chef d’orchestre de l’OPI, ­apporte un soutien public.

Pendant ce temps, un colloque universitaire intitulé «La Palestine et l’Europe: poids du passé et dynamiques contemporaines» prévu les 13 et 14 novembre à Paris – et programmé depuis plusieurs mois par la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France et le Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP Paris) – était annulé par l’administrateur du Collège de France (l’événement a finalement eu lieu dans les locaux exigus du CAREP et a été diffusé en ligne, ndlr) à la suite des campagnes nauséabondes de milieux d’extrême droite et pro-sionistes, et surtout des pressions exercées par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ouvertement revendiquées sur le compte X de son ministre Philippe Baptiste.

La liberté académique est donc bafouée au plus haut échelon de l’Etat français par le ministère pourtant de chercher à la protéger, mais qui au contraire encourage des formes de censure… Au même moment, Mediapart révélait la tenue au Sénat, le 10 novembre, d’un colloque organisé par le lobby pro-israélien Elnet et financé par le Ministère des affaires étrangères israélien à hauteur de 72’000 euros.

Ces pratiques ne s’arrêtent pas aux frontières de la France, mais touchent un large éventail d’Etats occidentaux, du soutien constant à un Etat génocidaire à des politiques liberticides continues. La Suisse n’est pas en reste et, à bien des égards, atteste une certaine expérience de l’intervention du politique dans le champ académique sur la question palestinienne. En témoigne la décision, en 2018, de la ministre de la Formation vaudoise de suspendre puis reporter le séminaire de formation «1948: connaître et enseigner la Nakba palestinienne» de la HEP Vaud destiné à des enseignant·es d’histoire du secondaire, à la suite de pressions de milieux prosionistes.

Les mesures de criminalisation et de répression se sont accrues de manière significative ces deux dernières années au sein de plusieurs universités, ciblant des étudiant·es et enseignant·es qui avaient manifesté leur solidarité avec la Palestine, ainsi que des artistes dans les milieux culturels. Des conférences, évènements culturels ou projection de films ont été annulés ou refusés par des institutions universitaires et culturelles, jugés «trop orientés politiquement». Sans oublier l’arrestation et l’expulsion du journaliste palestino-étasunien Ali Abunimah, venu donner deux conférences à Zurich, en janvier dernier. Plus récemment, des manifestations populaires en faveur de la Palestine ont été réprimées violemment dans plusieurs villes, tandis que les partis de droite revendiquaient davantage de mesures liberticides contre les manifestant·es. Cet état de faits démontre l’alignement constant de nos classes dirigeantes avec l’Etat d’apartheid d’Israël.

Plus encore, le processus de criminalisation de la solidarité ou de l’information sur la Palestine contribue à l’autoritarisme croissant au sein de nos sociétés. Les classes dirigeantes au pouvoir adoptent de plus en plus le choix stratégique de la répression pour empêcher toute forme de contestation démocratique ou sociale et renforcer leur contrôle sur les populations. Restreindre les droits démocratiques, la liberté d’expression et la liberté académique sont autant de moyens pour atteindre ce but. C’est pourquoi la Palestine constitue de plus en plus la boussole pour la défense d’un cadre démocratique, tandis qu’en miroir sa répression reflète chaque jour davantage la dérive autoritaire qui nous frappe.

* Universitaire spécialiste du Moyen-Orient.