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Attaque continue sur la question palestinienne

Joseph Daher revient sur la suspension de l’enseignement sur l’exode palestinien de la Haute Ecole pédagogique vaudoise.
Vaud

Le séminaire de formation «1948: connaître et enseigner la Nakba palestinienne» de la Haute Ecole pédagogique vaudoise (HEP), destiné à des enseignants d’histoire du secondaire, a été suspendu après l’intervention de la conseillère d’Etat socialiste et cheffe du Département de la formation Cesla Amarelle en juillet dernier1>Lire S. Kabacalman, «La suspension d’un cours critiquée», Le Courrier du 19 octobre 2018.. Cette suspension constitue une nouvelle attaque sur la question palestinienne. Diverses voix ont très justement dénoncé une intervention qui remet en cause la défense des libertés académiques et pédagogiques. Deux autres éléments méritent d’être également pointés du doigt.

«Neutralité» académique

Mme Amarelle a demandé à la HEP de respecter l’équilibre des points de vue dans le cadre de cette formation; Jacques Ehrenfreund, titulaire de la chaire d’histoire des Juifs et du judaïsme à l’université de Lausanne, a appelé de son côté à plus d’équilibre «avec des historiens spécialistes et pas des militants». Ces deux interventions, qui visent à mettre sur un pied d’égalité le discours historique de l’oppresseur face à celui de l’opprimé, s’apparentent à une nouvelle tentative de nier et d’effacer l’histoire d’oppression du peuple palestinien. On retrouve d’ailleurs cette posture qui renvoie les protagonistes dos à dos dans divers contextes où des peuples sont victimes d’Etats oppresseurs, comme par exemple sur la question du génocide arménien par rapport à l’Etat turc.

Par ailleurs, comment interpréter les propos du Pr Ehrenfreund qui, lors d’une interview télévisée2>Cf. «Geopolitis», RTS, 13 janvier 2013, accès: bit.ly/2CzcZ6U en 2013, qualifie l’Etat d’Israël de «démocratie comme les autres» malgré son caractère colonial, d’occupation et d’apartheid3>C. Koessler, «De l’apartheid d’Israël», Le Courrier du 6 avril 2018., et ce, sans mentionner les Palestiniens (et les citoyens arabes israéliens), la législation discriminatoire4>Encore renforcée par la loi sur l’Etat-Nation de juillet dernier. Lire C. Koessler, «Israël, la fuite en avant», Le Courrier du 20 juillet 2018., ni les mesures répressives subies par ces derniers? Ce discours ne revêt-il pas une forme de militantisme visant la normalisation d’un Etat d’apartheid?

Il ne s’agit donc pas tant de savoir qui milite ou pas – même s’il paraît évident que l’usage du terme «militant», dans le cadre de la suspension du cours HEP, constitue un moyen pour délégitimer le caractère scientifique de recherches académiques – mais plutôt quel ordre on défend. Comme l’intellectuel et militant italien Antonio Gramsci le soulignait, il n’existe pas de classe indépendante d’intellectuels: chaque classe a les siens. Au niveau universitaire, certains participent par leurs travaux ou leurs discours à la normalisation – voire au maintien – de systèmes politiques injustes.

Lutte politique

L’intervention de la magistrate Cesla Amarelle, que ce soit voulu ou non, s’inscrit dans des dynamiques internationales continues qui tentent d’étouffer la question palestinienne. Les Palestiniens font actuellement face à des menaces de toutes parts tandis que les politiques guerrières et meurtrières des gouvernements israéliens successifs s’intensifient.

Dans différents Etats occidentaux, de nombreux activistes et dirigeants politiques sont attaqués pour leur soutien aux droits du peuple palestinien, comme le leader du parti travailliste Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, régulièrement accusé d’antisémitisme alors que son engagement antiraciste – entre autres aux côtés de la communauté juive londonienne – n’est plus à prouver.

Des lois et des mesures répressives ont été prises contre les activistes de la campagne internationale BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) dans les pays européens et nord-américains. Et la Suisse n’est pas épargnée par les pressions constantes dirigées contre la solidarité avec le peuple palestinien. La campagne BDS a ainsi été visée en 2016 par une motion – finalement refusée – du conseiller national UDC Christian Imark qui remettait en question l’engagement des ONG et des organisations humanitaires en Israël et en Palestine et attribuait à BDS des actions antisémites et provocatrices.

C’est pourquoi cette suspension ne se limite pas à une question de liberté académique et d’enseignement. Il s’agit également d’une lutte pour la reconnaissance de l’histoire et des droits des opprimés. D’autant que la Nakba n’est pas seulement un événement historique dramatique, mais aussi un processus continu contre le peuple palestinien avec son lot d’expulsions, de dépossessions et de crimes…

Notes[+]

Joseph Daher est universitaire et membre de SolidaritéS.

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