Presque tous les médias [dont Le Courrier] ont repris telle quelle une étude de l’institut de politique économique lucernois (IWP) expliquant que la pauvreté ne se transmet que peu entre les génération1>IWP, 30.10.2025, tinyurl.com/nhkwfz74. Dit étude, publié par les soins de l’institut et non dans une revue scientifique, le document en question précise que les données administratives de la population suisse sur trois générations ont été utilisées, afin de déterminer la persistance familiale du recours à l’aide sociale. Cela pose plusieurs questions: la première est celle de savoir quelles «données administratives» ont été analysées, puisqu’il n’existe pas de statistique de l’aide sociale au niveau suisse permettant de retracer l’histoire des familles.
En effet, contrairement à ce que mentionne le communiqué de presse, l’étude n’a pas porté sur la perception intergénérationnelle de l’aide sociale, mais a procédé à une analyse dite «horizontale» de la situation socioéconomique des frères et sœurs et des cousin·es, pour en déduire la persistance intergénérationnelle du recours à l’aide sociale, en limitant l’analyse aux jeunes adultes (20 à 33 ans). Au vu de la méthodologie utilisée, il semble que l’honnêteté commanderait de communiquer des résultats moins tranchés.
Signalons au passage que, si le ciblage des jeunes adultes se justifie peut-être (comme mentionné dans l’étude) pour pouvoir mieux comparer les résultats à l’échelle internationale, il s’agit aussi statistiquement d’une des catégories d’âge qui recourt peu à l’aide sociale. Pour rappel, c’est le groupe des enfants (0 à 17 ans) qui est le plus à risque, puisqu’il représente le tiers des bénéficiaires (!)2>Cf. «L’aide sociale en bref», CSIAS (pdf); tinyurl.com/2s3uw4x3. Il aurait été plus significatif d’étudier ce qu’il se passe, d’une génération à l’autre, lorsque la suivante fonde une famille et devient parent. ATD Quart Monde a d’ailleurs publié un rapport sur le sujet3>tinyurl.com/y6vha953, basé sur une recherche participative co-pilotée par l’université d’Oxford, dont les résultats n’ont pas été pris en compte dans l’étude de l’IWP. Dommage, puisque cette recherche, qualitative, arrive à des résultats diamétralement opposés.
L’obsession du Pr Schaltegger pour l’aide sociale
Une des raisons de ces différences est peut-être la vision de l’aide sociale portée par l’IWP et par l’une de ses têtes d’affiche, le Pr Christoph Schaltegger. Ce dernier prend régulièrement la parole pour fustiger la générosité de cette prestation, sa prétendue inconditionnalité ainsi que ses nombreux «effets pervers»4>«Quand les assurances sociales n’incitent pas à travailler», 20.03.2018, tinyurl.com/32jrt5x4, des prises de position qui dénotent une posture plus idéologique que scientifique.
Cette posture s’explique peut-être par le financement de l’IWP, assuré par une fondation5>Luzerner Zeitung, 15.12.2021, tinyurl.com/4sjbrhek présidée par l’industriel Alfred N. Schindler6>Registre du commerce de Lucerne, tinyurl.com/ye29c3pn. La caution universitaire fournie par l’alma mater lucernoise permet à Schindler de diffuser des diagnostics sur l’ascenseur social – et à ses employé·es de publier de nombreuses études, souvent sujettes à caution7>Dont Watson, 23.05.2023, tinyurl.com/2rbvxtj4.
Dans son communiqué, l’institut met trois faits en avant: le recours à l’aide sociale ne se «transmet» que pendant une génération et le revenu est moins sujet aux influences familiales que le recours à l’aide sociale. En revanche, le niveau de formation représente la variable qui pèse le plus d’une génération à l’autre et elle ne diminue que progressivement. Le lien fort entre pauvreté et discriminations multiples, rendant notamment plus difficile aux enfants de familles défavorisées le choix d’entreprendre des études tertiaires, et aussi l’obtention d’un CFC8> Artias, 21.03.2025, tinyurl.com/4v5ebhh4, n’est évidemment pas étudié. La formation est du domaine de la responsabilité individuelle, les pauvres méritent d’être pauvres, fin de la discussion.
Un hasard de calendrier?
Enfin, il peut surprendre que l’étude de l’IWP sorte au moment où la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) est sur le point de mettre en consultation une modeste augmentation des forfaits pour les enfants, afin de leur garantir une meilleure intégration dans la société9>«Processus de révision des normes CSIAS en cours», tinyurl.com/4ucr34ae. Alors que le développement de tous les enfants représente une obligation constitutionnelle et l’augmentation du minimum vital les concernant un investissement dans l’avenir, l’étude en question apporte des arguments à celles et ceux qui préfèrent une baisse de leurs impôts à un investissement dans la cohésion sociale, peu en importent les conséquences.
Notes