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Vous méfiez-vous des économistes?

Re-penser l'économie

Si c’est le cas, vous n’êtes pas seul·e, bien au contraire. En 2017, selon un sondage de YouGov au Royaume-Uni, le seuil de confiance du public envers les économistes parlant d’économie se situait autour de 25% – moins que celui accordé aux météorologues. La seule «profession» présentant un score plus faible étant politicien·ne1> E. Duflo, Nobel Prize Lecture, 8 décembre 2019.… Plusieurs travaux académiques ont cherché à comprendre cette méfiance en analysant le décalage flagrant entre le discours d’expert et l’opinion publique sur des problématiques économiques. Les explications sont nombreuses et souvent centrées sur les incompréhensions du public à l’égard des statistiques. A cela s’ajoute la méfiance générale dans les professions où l’opinion est le plus souvent polarisée au sein du débat public. Méfiance dont souffrent aussi les climatologues.

Il est typiquement admis que la confiance se construit à travers plusieurs variables: l’intégrité, la transparence, la fiabilité et la bienveillance. Or, lorsque le lien de confiance est rompu, seules des excuses appropriées peuvent le rétablir. La rhétorique des économistes sur les plateaux TV, souvent porteurs d’eau de la politique d’un gouvernement, contraste fortement avec ces prérequis nécessaires à l’établissement du lien de confiance. Alors que faire pour redorer le blason d’une profession rétive aux excuses et ternie par ses discours abstraits et moralisateurs?

En ce qui concerne l’intégrité, la sociologue Marion Fourcade a démontré que les économistes ne sont ni neutres, ni perçu·es comme tel·les, en raison de leurs positions dominantes au sein des appareils d’Etat et des institutions financières. Ce lien rend leurs analyses, même sincères, biaisées par des conflits d’intérêts, contribuant ainsi à nourrir l’argumentaire d’un ordre existant, plutôt que de fournir de possibles outils de transformation2> M. Fourcade & al., «The superiority of economists», Journal of Economic Perspectives, vol. 29, no 1, Winter 2015 (pp. 89–114).. En effet, entendre des experts proches du pouvoir défendre des politiques d’austérité au nom de la rigueur ou critiquer la taxation du patrimoine des ultra-riches, alors que le pouvoir d’achat s’érode chaque année un peu plus et que les inégalités de revenus sont au plus haut depuis trente ans3> OCDE, «Income & wealth inequalities», 2024., détériore inévitablement la perception d’intégrité qu’a le public envers les expert·es. Espérer restaurer l’intégrité, c’est donc avant tout reconnaître cet état de fait et rendre visibles les valeurs, les financements et les intérêts qui traversent toute expertise économique.

Deirdre McCloskey, spécialiste de l’histoire du capitalisme, rappelle que le langage économique, truffé de termes techniques, crée une barrière symbolique entre experts et citoyen·nes4> D.N. McCloskey, «The rhetoric of economics», Journal of Economic Literature, vol. 21, no 2, Jun., 1983.. C’est à travers son autorité, ses métaphores trop souvent fallacieuses et des termes tels qu’«ajustement structurel» ou «flexibilisation des marchés» que le jargon économique exclut d’office ceux qui n’en manient pas les codes, et donne à croire que seule une élite savante en maîtrisant le lexique peut y accéder. La transparence impose de rendre ce langage accessible à toutes et tous, en le traduisant en des termes compréhensibles, en explicitant les hypothèses et leurs effets potentiels sur les personnes concernées. Cela suppose d’abandonner l’autorité du jargon au profit d’une pédagogie qui expose les limites des modèles et admet l’incertitude.

Enfin, pour ce qui est de la fiabilité et de la capacité à s’excuser à la suite d’une erreur, Esther Duflo, Nobel d’économie, plaide pour un changement de posture radical. Elle propose pour cela la métaphore de l’économiste-plombier5> E. Duflo, «The economist as plumber», American Economic Review, vol. 107, no 5, May 2017.. Plutôt que se comporter en ingénieur tentant de créer des modèles parfaits, l’économiste devrait se positionner comme un plombier au contact, qui essaie, écoute, mesure et ajuste. L’économie, une science qui devrait se focaliser sur le réel, porte en son sein une gradation de la certitude et les économistes devraient l’assumer pleinement. Des choses sont certaines, d’autres ne sont valables que sous conditions et d’autres demeurent incertaines; cela, les économistes doivent apprendre à l’énoncer clairement.

La confiance se gagne par la traduction de l’économie en un langage accessible, par la proximité au terrain, mais aussi par la reconnaissance honnête des erreurs commises et par la transparence des liens d’intérêts. Alors seulement pourrons-nous espérer que l’économie devienne un bien commun plutôt qu’un latin d’Eglise.

Notes[+]

Barthélemy Tripod est président de Rethinking Economics Genève, diplômé en économie politique et histoire économique.

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