A peine le car postal apparaît au détour du virage que, déjà, les enfants s’agitent: ils ont reconnu Sämi au volant, leur chauffeur préféré. C’est lui qui les ramènera à l’école, après leur pause de midi. Un garçon vêtu d’une chemise rayée et d’une ceinture décorée de vaches tente sa chance d’une voix assurée: «Sämi, tu nous chantes un yodel?»
Face à l’hésitation du chauffeur, l’écolier réitère sa requête. Sämi Zumbrunn attend de faire monter un dernier touriste puis s’exécute enfin. Moment suspendu dans l’Oberland bernois. Tandis que les dernières notes résonnent encore, des applaudissements chaleureux éclatent. Une fois de plus, Sämi a conquis le cœur de ses passagers.
«C’est comme ça que je suis. J’aime partager ma passion pour le yodel», raconte-t-il, quelque part sur sa ligne du jour entre Brienz et le col du Brünig. Arrivé au musée en plein air de Ballenberg, il en profite pour boire à la fontaine. «J’ai grandi dans une famille paysanne à Unterbach, près de Meiringen, reprend celui qui est aujourd’hui de 62 ans. Déjà enfant, je chantais en trayant les vaches.»
Déclic à 12 ans
Chez lui, on chante souvent et à la moindre occasion: en faisant la vaisselle, après le dîner ou lors de sorties en montagne. Ce lien avec les animaux, la nature et les paysages alpins a profondément marqué l’enfance du petit Sämi. «A 12 ans, j’ai reçu une cassette audio contenant une compilation des meilleurs yodleurs de l’époque, se souvient-il. Je l’ai écoutée des milliers de fois, au point que le désir est né en moi de devenir un yodleur tout aussi talentueux.»
«J’aime partager ma passion pour le yodel» Sämi Zumbrunn
Sämi Zumbrunn apprend les métiers de charpentier et d’agriculteur, et rejoint à 19 ans le club de yodel Ringgenberg. Le chef l’encourage alors à cultiver son talent vocal. «Grâce à une pratique quotidienne, j’ai atteint une tessiture de quatre octaves», dit-il. Son premier passage sur scène lors d’une fête du yodel remonte à quarante ans. «J’ai obtenu la meilleure note», avoue-t-il avec une fierté à peine dissimulée. La première distinction d’une longue série.
C’est à cette époque également que débute sa carrière de chauffeur: il conduit d’abord un camion-citerne pour le lait, puis un car de tourisme. Une activité qui le met en contact avec le secteur touristique. Avec le temps, il devient ambassadeur de Grindelwald, des Chemins de fer de la Jungfrau et de Suisse Tourisme. Il parcourt la moitié du globe, jamais sans yodel. «La musique parle un langage universel, compris partout parce qu’il vient du cœur», note Sämi Zumbrunn. Elle peut bâtir des ponts entre différentes cultures.»
Grâce à un touriste
Tandis qu’il franchit les passages étroits du Hasliberg, le singing driver, comme il aime se surnommer, allume le micro, salue les visiteurs et leur annonce qu’il souhaite leur faire un cadeau. D’abord, les passagers sont déconcertés, puis un sourire se dessine sur leurs visages. En descendant du car, certains le remercient, tandis que d’autres, la voix encore tremblante d’émotion, confient avoir vécu «le plus beau trajet de leur vie».
Un touriste de Chicago, rencontré un jour à Grindelwald, l’a encouragé à franchir une nouvelle étape. «Chaque mois, il m’écrivait une lettre pour me demander si j’avais enfin enregistré mon premier CD», raconte Sämi. «Je l’ai finalement appelé Singing Driver car c’était déjà le surnom que m’avaient donné les passagers. Le CD a eu beaucoup de succès, surtout auprès des touristes du Japon», raconte Sämi.
Mais le «chauffeur chantant» n’arrive pas toujours à ses fins: le jour de notre visite, ses mélodies ne suffisent pas à faire détourner les yeux de gymnasiens de la ville de Berne des écrans de leurs smartphones. Il faut attendre le quai de la gare et un deuxième morceau pour que les jeunes adultes daignent enfin accorder de l’attention à Sämi. Filmée de toutes parts, la prestation est aussitôt publiée sur les réseaux sociaux.
Bientôt à Hambourg?
De quoi rapprocher un peu le sexagénaire de son rêve? L’alpiniste amateur, qui compte bientôt s’attaquer à l’Eiger «par l’arête du Mittellegi» après le Wetterhorn et le Mönch, vise un autre monstre sacré: l’Elbphilharmonie de Hambourg. Rien que ça. «J’aimerais amener mes montagnes et la nature dans cette salle mythique avec vue sur l’Elbe.»
En attendant une éventuelle prestation à Hambourg, Sämi a un autre public à contenter: son bus s’est rempli de nouveaux touristes. «Je veux vous offrir quelque chose: emportez-le avec vous ou laissez-le dans le bus», sourit le conducteur, provoquant de nouveaux visages incrédules. Le yodel aspire à intégrer prochainement le patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, mais Sämi fait assurément déjà partie de celui de l’Oberland bernois. SWISSINFO