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Vieux mais pas périmés

Ueli Leuenberger réagit à l’idée de la suppression du droit de vote pour les personnes âgées, récemment évoquée par une politologue dans la presse romande.
Société

Dans un pays où l’on vit de plus en plus longtemps, voilà qu’une idée, pour le moins inquiétante, fait son chemin dans les débats publics: et si, passé un certain âge, les citoyennes et citoyens n’étaient plus «aptes» à voter? Une politologue suisse, relayée par certains courants, propose de limiter, voire de retirer le droit de vote aux seniors (lire le 24 Heures du 3 octobre 2025). Motif? Leur prétendue déconnexion des enjeux contemporains. A croire que le temps use non seulement les corps, mais aussi la légitimité démocratique.

Faut-il le rappeler: les baby-boomers et d’autres retraité·es d’aujourd’hui ne sont pas des statues de cire figées dans la nostalgie d’un monde révolu. Nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui ont manifesté contre les centrales nucléaires, milité pour l’égalité salariale, soutenu les causes pacifistes, écologistes, tiers-mondistes et féministes. Ce sont elles et eux qui ont obtenu l’AVS, bâti les services publics, ouvert les portes des universités, et souvent éduqué les générations actuelles dans un esprit critique et d’ouverture. Ce sont aussi celles et ceux qui ont lutté pour réduire le temps de travail hebdomadaire, augmenter les semaines de vacances, améliorer des conditions de travail qui dataient d’un autre âge – et qui, dans certains secteurs, risquent de régresser.

Opposer les générations est une stratégie aussi paresseuse que dangereuse. Elle nourrit le ressentiment, affaiblit la cohésion sociale, détourne l’attention des véritables urgences: inégalités croissantes, crise climatique, explosion des loyers, précarité de l’emploi, montée des conflits et menaces de guerre. Les jeunes et les moins jeunes doivent lutter côte à côte, et non les uns contre les autres.

Dans toutes les luttes historiques, il y a toujours eu des jeunes et des vieux engagés pour la solidarité, la justice sociale et un monde plus équitable. Et, il faut bien le dire, il y a toujours eu aussi des jeunes et des vieux engagés dans la direction opposée – conservatrice, réactionnaire ou individualiste. L’âge n’a jamais été, à lui seul, un critère de clairvoyance ou d’égoïsme, d’audace ou de frilosité face au changement.

Dans ce pays où le suffrage universel est un pilier sacré de la démocratie directe, l’idée même de conditionner le droit de vote à l’âge est une rupture de contrat. Après avoir contribué toute une vie à la collectivité, il faudrait maintenant se taire? S’effacer? Laisser faire, sous prétexte que d’autres vivront plus longtemps? N’est-ce pas précisément dans la pluralité des âges que se construit une vision lucide, équilibrée et solidaire de l’avenir?

Vieillir ne rend pas obsolète. Bien au contraire. L’expérience, la mémoire des luttes, la transmission des savoirs sont des boussoles indispensables dans les tempêtes que nous traversons. On peut être vieux et visionnaire. On peut être jeune et réactionnaire. Ce n’est pas une question d’âge, mais de courage, de valeurs, et d’engagement.

Alors non, les vieux ne sont pas périmés. Ils sont vivants, conscients, et toujours citoyens à part entière. Et ils entendent bien le rester. Ils ne se laisseront pas faire.

Ueli Leuenberger est Ancien conseiller national, ancien président de l’AVIVO Genève.