Dans un dossier de synthèse sur les aides aux médias qui vient d’être publié en ligne sur Medialex.ch, l’ancienne secrétaire centrale d’impressum – Les journalistes suisses, Dominique Diserens, fait le point sur les divers leviers qui pourraient sauver la presse et, notamment les quotidiens indépendants. La docteure en droit mentionne en particulier, au niveau fédéral, les rabais pour la distribution des journaux par les services postaux, et recommande plus de cohérence dans les divers soutiens.
Le message sera-t-il entendu à Berne, à l’heure où le géant jaune augmente ses tarifs, au risque de faire disparaître des titres locaux comme La Région? Et au moment où le Conseil fédéral envisage, dans son «Programme d’allégement budgétaire 2027» présenté le 18 septembre dernier, de supprimer la subvention versée chaque année à la presse associative, soit «un soutien vital pour près de 900 publications en tous genres dans tout le pays», prévient L’Evénement syndical. Explications et point de situation avec Etienne Coquoz, nouveau codirecteur d’impressum.
Le 4 mars 2025, le Parlement a avalisé une aide financière supplémentaire de 35 millions de francs sur la base d’une initiative parlementaire de Christine Bulliard-Marbach, «Pour une presse écrite indépendante, il faut adapter les montants de l’aide indirecte». La presse régionale et locale recevra 40 millions de francs par année, soit 10 millions de plus qu’aujourd’hui, sous forme de rabais pour la distribution des journaux… Comment impressum se situe, par rapport à l’annonce de cette hausse?
Etienne Coquoz: Cette aide va réellement entrer en vigueur en 2026. A impressum, nous avons accueilli cela très favorablement, parce que cette disposition reprend un bout du paquet d’aides aux médias de 2002 (le train de mesures en faveur des médias, finalement rejeté par votation populaire, ndlr) qui, à notre sens, n’était pas contesté. Mais on voit que cette initiative a quand même subi une collecte de signatures, de la part d’une frange politique qui souhaitait contrecarrer toute aide à la presse. Cela, il faut quand même l’avoir à l’esprit. Chaque objet politique qui aura pour but d’aider les médias subira prochainement ce type d’attaques.
Attaques par l’UDC, entre autres…
Oui, et même les jeunes UDC, pour être précis. J’en parlais avec d’autres organisations impliquées, notamment Médias Suisses (association des médias privés romands) jusqu’à la récolte des signatures d’opposants, début 2025: on s’inquiétait. J’ai été agréablement surpris de voir que cette tentative de l’UDC n’avait pas réussi. Cela dit, nous considérons que cette mesure d’aide indirecte n’est pas suffisante. C’est un pas en avant, certes, mais cela ne reste qu’un pas.
Plusieurs groupes politiques de droite ont d’ailleurs réussi à faire baisser le montant de 45 millions initialement proposé par le Parlement… Qu’est-ce qui reste à améliorer?
Ce qui nous dérange, à impressum, c’est que nous avons l’impression de voir les autorités fédérales avancer un pas après l’autre, sans avoir de véritable politique des médias, globale et cohérente. C’est tout un écosystème qui doit être repensé, selon nous: de l’aide aux médias, en passant par l’éducation aux médias, à une prise de conscience par la population, à une régulation des outils technologiques et des plateformes numériques, avec des projets concernant par exemple ce qu’on appelle les droits voisins… Aujourd’hui, une nouvelle motion parlementaire demande la régulation de l’intelligence artificielle…
Or, tout se passe à Berne comme si on prenait chaque problématique les unes après les autres, par ajustements successifs, dans un sens ou dans un autre, au lieu d’avoir une stratégie générale de politique médiatique. J’ai peur qu’avec un tel éparpillement, tout cela reste très abstrait et ne soit pas compris par la population, y compris le principe d’aider la presse par des rabais postaux. Quels médias au juste aide-t-on par ce biais? Il va falloir un jour mener un vrai travail d’information auprès de la population, pour qu’elle en comprenne les enjeux.
Par rapport à ces rabais postaux, on peut être surpris de voir que l’aide à la presse associative est moindre – seulement 20 millions – par rapport à celle perçue par les autres titres régionaux et locaux, dont ceux de TX Group ou ESH Medias. Des députés de droite voulaient même supprimer cette enveloppe annuelle…
Effectivement, c’est là que l’on perçoit le jeu des rapports de force politiques. Quand on parle d’aide aux médias, on trouve toujours une voix qui va tenter de supprimer quelque chose. Ici, la baisse touche la presse associative. D’où aussi l’importance de concevoir une politique générale d’aide aux médias, liée à la question de savoir comment notre population veut être informée.
La diversité des médias est importante pour la formation des opinions et le débat démocratique… Mais en parallèle, on assiste à une hausse des tarifs pour la distribution, infligée par La Poste, ce qui a entre autres contribué à la fermeture récente d’un journal, La Région, basé à Yverdon-les-Bains. Son conseil d’administration a dû se résoudre à licencier l’ensemble de son personnel, soit 14 équivalents plein temps (EPT), en juillet dernier…
Pour qu’un média reste intéressant, attractif pour la population, il doit pouvoir arriver le matin dans les boîtes aux lettres. Or aujourd’hui, on voit que cela est de moins en moins possible, notamment dans les régions reculées, ou dans le Nord vaudois. Les entreprises de médias faisaient appel à des porteurs, ce qui a forcément un coût. Il en existe hélas de moins en moins. Le cas de l’hebdomadaire La Région est assez symptomatique. En résumé, la distribution en tout-ménage de ce journal du jeudi était assurée jusqu’à l’an dernier par Direct Mail Company (DMC), une filiale de La Poste. Cette prestation de porteur coûtait 160 000 francs par an. Cette filiale était en déficit, elle a donc fermé.
La Région a cherché alors un autre prestataire. Il n’y a en avait pas d’autre sur place, à part La Poste, qui a repris cette activité de service de DMC, mais en direct. Au lieu des 160 000 francs, elle a proposé soudain un tarif à 350 000 francs, ce qui lui était possible aussi du fait de l’absence de concurrence dans le secteur, au niveau régional. Le tarif a donc plus que doublé, pour une entreprise semi-publique… Je ne pense pas, évidemment, que ce soit l’unique facteur qui ait mené à la décision de fermer le journal: on parle ici d’une entreprise médiatique qui avait pratiquement déjà été déclarée en faillite. Il y avait tout un faisceau de facteurs. Mais ce nouveau tarif y a contribué.
D’autres cas similaires pourraient suivre?
La problématique est pour l’instant mois grande sur le bassin lémanique, dans le canton de Vaud ou de Genève. Mais quand on discute avec d’autres médias, neuchâtelois, jurassiens…, cette question de la distribution dans des zones reculées des cantons se pose tous les mois au sein de l’entreprise.

