L’histoire de l’écologie est étrange. Au début du XXe siècle, à la suite du biologiste allemand Ernst Haeckel, c’était la part de la biologie qui étudiait les relations d’un animal ou d’une plante avec son milieu et qui décrivait les relations entre les espèces peuplant un milieu donné. Face à la complexité de ces relations, les premiers écologistes scientifiques ont d’abord travaillé sur des milieux qui semblaient simples: une mare, un sol, une prairie. Ils et elles prolongeaient souvent les observations des grands naturalistes du passé qui, pendant des siècles, ont fait de l’écologie sans le savoir. Mais la prise de conscience de l’impact des activités humaines sur la disparition des espèces et la transformation rapide des écosystèmes imposa vite de passer à des échelles supérieures, en étudiant tant les espèces de tous les écosystèmes terrestres que les changements des cycles physico-chimiques de la biosphère, qu’ils soient naturels ou altérés par nos activités. Ce changement d’échelle entraina de grandes difficultés, les outils développés en écologie expérimentale étant désuets à l’échelle des forêts et des steppes continentales ou bien des océans. Les développements spectaculaires du calcul et de l’informatique peinaient à gérer la quantité de mesures imparfaites qui s’accumulaient.
Par ailleurs, la rencontre d’un souhait du public de protection de la nature et de l’angoisse liée à la disparition trop rapide des espèces vivantes déboucha sur un souci de protection des écosystèmes naturels très conflictuel avec les pratiques prédatrices irraisonnées et incontrôlées des grands systèmes économiques agricoles et industriels. Depuis le Néolithique et la mise en route de l’explosion démographique, liée au développement de l’agriculture à grande échelle, les humains ont chamboulé les écosystèmes naturels. Et les choses se sont aggravées avec la révolution industrielle. Dans ces conditions, les besoins de consommation immédiats, justifiés ou non, de la population ont débordé la problématique d’une gestion rationnelle de ressources dont les limites devenaient évidentes après avoir été, jusque-là, ignorées. Le contexte, devenu très politique, oppose celles et ceux qui veulent gérer sagement la nature, auto-qualifiés d’écologistes, à qui veut continuer à la détruire pour des profits financiers immédiats.
Au cours de la seconde moitié du siècle passé, les universitaires, d’Europe en particulier, ont souhaité développer une écologie incluant les activités humaines et tout d’abord une écologie de notre espèce incluant ses interactions internes et avec le monde extérieur. A Genève, Pierre Moeschler, Claude Raffestin, que nous venons de perdre, et bien d’autres, anthropologues, géographes, architectes, médecins, etc. ont créé un Centre universitaire d’écologie humaine, forcément très interdisciplinaire, dont l’une des ambitions était de rationaliser le débat sur l’environnement et la gestion des ressources de notre espèce et de fournir des expertises en la matière à des acteurs politiques et sociaux souvent en manque d’informations fiables pour leurs prises de décisions. En somme, on reprenait le vieux projet d’une science de l’humain que l’anthropologie avait perdu entre les dérives racistes de l’anthropologie dite physique et les jeux intellectuels élitistes de l’anthropologie culturelle.
Malheureusement, ce projet scientifique et humaniste, qui fait la part belle au long terme, n’était guère attendu, ni apprécié par des responsables politiques obsédés par leur survie à court terme, quand ce n’était pas par les profits de leurs sponsors et complices. Aussi détachée d’un militantisme de base, sympathique mais pas toujours réaliste, que de pouvoirs politiques manipulés par ces lobbies économiques qui ne connaissent que le profit, l’écologie humaine, bousculée par l’irrationalité des comportements humains et politiques, peine autant que les Nations Unies à trouver la place qui serait la sienne dans un monde apaisé, fraternel et rationnel.