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La COP30 et le dilemme brésilien

«Lula veut-il protéger l’Amazonie ou la vendre aux industries fossiles?» En marge de la prochaine Conférence mondiale sur le climat qu’il accueille en novembre, le Brésil présente une initiative qui permettra de monétiser les forêts et peaufine un mégaprojet controversé d’exploitation pétrolière à l’embouchure de l’Amazone. Eclairage de Gabriella Lima.
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva (au centre) en visite à Belém, le 2 octobre 2025, pour l’inauguration d’une station d’épuration dans le cadre des préparatifs de la COP30. KEYSTONE
Climat

A un mois de la Conférence sur le climat de Belém (COP30), en Amazonie brésilienne, son président André Corrêa do Lago promet que la «transition juste et équitable» sera au cœur des discussions. Une transition qui met en son centre la justice sociale, le développement durable, la création d’emplois verts et ce, «sans laisser personne de côté». Des promesses nécessaires pour préserver la crédibilité de Luiz Inácio Lula da Silva, président du pays hôte de la COP30, à une année des élections présidentielles. Mais les initiatives brésiliennes mettent à nu les contradictions entre un discours environnementaliste fort et des politiques qui priorisent les intérêts des industries fossiles et des marchés financiers.

Mainmise de la finance climatique sur les forêts. La grande proposition du Brésil à la COP est le «Tropical Forests Fund Facility» (TFFF), qui entend capitaliser sur la crise climatique en transformant les forêts en actifs financiers qui génèreraient du profit. Comment? Via la création d’un fonds d’investissement qui engendrerait un bénéfice annuel de 4 milliards de dollars. Une partie de ces rendements servirait à rémunérer annuellement les pays qui préservent leurs forêts tropicales, à hauteur de 4 dollars par hectare. La logique n’est pas bien différente de celles des banques: il s’agit d’emprunter de l’argent à un faible taux, puis le prêter plus loin à un taux plus élevé et allouer les bénéfices à la rémunération de la conservation. Pour ce faire, le TFFF devrait lever 125 milliards de dollars étasuniens, dont 20% auprès de la philanthropie et des gouvernements sponsors et 80% sur les marchés privés – dont les fonds de pension et les compagnies d’assurance –, en émettant des instruments de dette tels que des obligations «vertes» ou «bleues». Il s’agit donc bien de prêts et non de dons.

Le TFFF répond à l’impératif du capitalisme vert de transformer en marchandise tout ce qui ne l’est pas encore. Il vise ainsi à combler les lacunes de mécanismes comme REDD+, en financiarisant tous les services liés à la conservation des forêts plutôt que les seules émissions carbone évitées. En théorie, 4 milliards de dollars devraient être versés pour la conservation, mais il n’y a encore aucune garantie que le fonds réussira à lever les 125 milliards visés, ni que les 4 dollars par hectare seront bien versés aux pays associés. Les rendements générés devront couvrir, dans l’ordre, les intérêts des investisseurs et les coûts administratifs avant d’alimenter la conservation.

Les forêts ne percevront que ce qui reste et le montant attribué dépendra de la performance financière du fonds. Si le taux de rendement est inférieur à 7,5% ou si l’objectif de 125 milliards n’est pas atteint, les versements dédiés à la conservation seront réduits proportionnellement. Les perspectives sont déjà peu encourageantes, puisque même les architectes du projet estiment à 60% le risque de ne pas réussir à verser les sommes promises. Pire encore, le projet ne définit pas qui endosse la responsabilité de la dette dans le cas où les investisseurs ne parviendraient pas à récupérer leurs intérêts. Cette incertitude fait peser la menace d’un accroissement de l’endettement extérieur des pays forestiers tropicaux.

Instrumentalisation des peuples autochtones. En tant que pays hôte, le gouvernement brésilien se vante de battre un record historique en termes de participation des peuples autochtones à la COP. Près de 3000 représentant·es de communautés autochtones y participeront, dont 1000 seront directement intégré·es aux négociations. Ce geste symboliquement fort masque néanmoins les faibles gains matériels pour ces populations. La Global Forest Coalition (GFC), qui rassemble 144 organisations de peuples autochtones, dénonce déjà les «fausses solutions» promues par Lula.

En effet, le TFFF promet qu’une partie des rendements du fonds sera reversée aux peuples autochtones et aux populations locales. Pourtant, sur les 4 dollars par hectare, seulement 20% reviendront aux communautés locales, avec des versements irréguliers. Un rapport de la GFC s’inquiète en outre du fait que l’existence même des peuples autochtones n’est pas reconnue à l’intérieur des frontières nationales de certains Etats, ou que la reconnaissance des droits autochtones reste soumise au bon vouloir des autorités. Elle pose une question légitime: «Que signifie ‘les forêts restent intactes’? Les communautés indigènes pourront-elles utiliser du bois ou procéder à de petits déboisements pour assurer leur subsistance?».

Quelle marge de manœuvre auraient les investisseurs pour définir le modèle de conservation jugé satisfaisant pour débloquer les versements du fonds? Ces questions restent pour l’instant sans réponse.

Méga projet d’exploitation pétrolière discuté en coulisse. Le Brésil de Lula pourrait certainement jouer un rôle pivot dans la transition énergétique, en tant que l’un des principaux pays producteurs pétrole à l’échelle mondiale. La sortie des énergies fossiles est d’ailleurs une revendication centrale des organisations autochtones et écologistes. Mais la tenue de la COP en Amazonie accentue les contradictions entre le discours environnementaliste de Lula et la poursuite de politiques basées sur l’exploitation effrénée des ressources naturelles, main dans la main avec les intérêts fossiles et les banques qui les financent. En marge de la préparation de la COP, c’est un méga projet controversé d’exploitation pétrolière à l’embouchure du fleuve Amazone qui est en préparation.

Avec un certain malaise, Lula a déclaré dans une interview récente1>BBB New Brazil, 15.10.2025, www.bbc.com/portuguese/articles/c0ezpzxqjgqo vouloir exploiter le pétrole, mais de manière respectueuse de l’environnement. Un exercice difficile, étant donné que le projet vise la production de pas moins de 14 milliards de barils de pétrole, notamment par le géant pétrolier semi-public Petrobrás, qui se classe au 20e rang des entreprises qui génèrent le plus de CO₂ au monde. Selon l’Institut ClimaInfo, une exploitation pétrolière de cette ampleur relâcherait 11 milliards de tonnes de CO₂ dans l’atmosphère, ce qui représente 5% du budget carbone restant pour rester sous le seuil de 1,5 °C.

La Petrobrás entend augmenter massivement sa production et multiplier ses sites d’exploration dans les quatre ans à venir. Pour justifier cette stratégie, Lula mobilise un narratif de défense de la souveraineté nationale sur les ressources énergétiques. Or, le développement du secteur pétrolier vise avant tout à satisfaire l’appétit des capitaux étrangers. Près de 63% du capital de Petrobrás est détenu par des investisseurs privés, dont deux tiers d’internationaux. Accroître la production revient donc à générer plus de profits pour les investisseurs étrangers, tout en consolidant la dépendance de l’économie brésilienne aux exportations d’or noir, aujourd’hui le principal produit d’exportation du pays. La majorité du pétrole extrait par Petrobrás part déjà à l’étranger, notamment en Israël, où il sert de combustible et alimente l’effort de guerre. Entre 2023 et 2024, les exportations de pétrole vers ce pays ont augmenté de moitié. Souligner cette évolution permet en partie d’expliquer pourquoi Lula se positionne comme un fervent dénonciateur du génocide à Gaza sur la scène internationale, tout en refusant de rompre ses relations commerciales avec l’Etat d’Israël.

Les ambivalences entre un discours souverainiste et la complaisance de Lula envers les capitaux étrangers se manifestent de manière encore plus aigüe dans le programme de privatisations actuel, en vertu duquel le gouvernement a lancé des ventes aux enchères pour des bassins pétroliers sur terre et off-shore dans la Marge équatoriale amazonienne.

En juin dernier, 146’000 km² de droits de concessions d’hydrocarbures ont été vendus, majoritairement à des géants comme Galp (Portugal), ExxonMobil (USA), Equinor (Norvège) ou PetroChina (Chine), qui pourront exploiter et vendre le pétrole. Confier la production et la commercialisation de combustibles responsables de plus de 75% des émissions mondiales de gaz à effet de serre aux industries étrangères n’a rien d’une stratégie de souveraineté énergétique, encore moins d’une politique de réduction des émissions.

D’autres voies possibles pour financer la conservation

Les organisations locales combattent avec la même vigueur le «développementalisme fossile» de Lula et la mainmise de la finance sur la conservation des forêts. Comme alternative au TFFF, la Global Forest Coalition propose d’allouer 1% des budgets de défense nationale de tous les pays à la conservation des forêts tropicales. Pour le Brésil, cela représenterait 226 millions de dollars, ou un sixième du 1,3 milliard que le pays pourrait recevoir du TFFF, dans l’hypothèse où le taux de déforestation reste en dessous de 0,5% et où le fonds est en mesure d’honorer ses engagements.

Une autre option, plus ambitieuse, serait de suspendre le paiement de la dette, qui étouffe aujourd’hui les finances brésiliennes. L’an dernier, le service de la dette aurait absorbé près de 2000 milliards de réaux brésiliens (363 milliards de dollars). Ce montant représente à lui seul près de trois fois le montant du TFFF! En 2024, le paiement de la dette a absorbé 42% du budget brésilien, tandis que seuls 21% ont été alloués aux retraites, 6% à l’aide sociale, 4% à la santé et seulement 0,3% à la gestion environnementale. Suspendre le paiement de la dette est une manière efficace de dégager des ressources pour la conservation sans transformer celle-ci en une source de profit pour le marché financier. C’est aussi une nécessité pour assurer la transition écologique «juste» qu’André Corrêa do Lago entend mettre en œuvre.

Notes[+]

Gabriella Lima est doctorante en histoire contemporaine à l’université de Lausanne.