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Notes de bas de page

A livre ouvert

S’il s’agit de dire vraiment quelque chose et de le dire tout de suite, de faire valoir certains griefs, de tenter d’influencer l’opinion tout en défendant un genre littéraire en soi, alors le pamphlet demeure, et demeurera pour longtemps encore, la forme idoine. Tout au moins le pense-t-on à la lecture de la préface signée George Orwell du livre De la diatribe considérée comme un des beaux-arts1>De la diatribe considérée comme un des beaux-arts: une anthologie de pamphlets séditieux dans l’Angleterre des siècles passés, L’Insomniaque/Libertalia, 2024.. Or dans celle-ci, nous apprenons que la fonction principale du pamphlet est «d’être une sorte de note de bas de page ou de glose marginale de l’histoire officielle». Qu’entend donc Orwell par là? Une chose toute simple. Avant même d’être un moyen d’exprimer des idées s’opposant plus ou moins frontalement à la doxa, le pamphlet «fournit des informations méconnues sur des événements que les puissances du jour ont tout intérêt à occulter ou à déguiser».

Oublions pour l’heure les vertus littéraires de la diatribe et intéressons-nous à la place marginale qu’elle s’efforce d’occuper. Note de bas de page donc, jamais très loin du corps du texte et de nos jours bien trop souvent dédiée – surtout dans la production académique – à la pure accumulation de références, alors qu’elle est capable de bien plus.

Un bon appareil de notes de bas de page s’apparente à une boîte à outils mise à disposition de quiconque viendra à passer par là. Lors d’une lecture, la note infrapaginale arrive à point nommé. Elle ne doit être ni trop courte ni trop longue. Capable de nous extraire du corps du texte, elle ne doit pas nous en éloigner trop longtemps. En cela elle s’apparente au clinamen, cet écart minime qui peut en contenir une infinité d’autres à sa suite mais qui, le plus souvent, est d’abord un écart initial, autrement dit un pas de côté capable d’initier quelque chose en nous et de renouveler notre pensée. A condition que nous continuions la lecture du «texte» jusqu’à ce que nous rencontrions d’autres notes marginales.

Ce sont ces notes qui devraient nous intéresser, peu importe la forme qu’elles prennent, qu’elles aient été écrites ou non dans ce but. Qu’il s’agisse de notules, de textes, de dépêches, d’articles ou encore de livres, tant qu’elles se répondent entre elles et fournissent des éléments méconnus et à la fois nécessaires à la lecture, donc à la discussion.

Tenez, comme cet article paru dans Mediapart le 18 mars 20252> Mickaël Correia, «Trump veut détruire la plus ancienne vigie climatique du monde», Mediapart, 18 mars 2025. et à la lecture duquel on apprend que l’administration Trump souhaite fermer l’observatoire situé sur les flancs du volcan Mauna Loa qui mesure depuis 1958 la concentration de CO2 dans l’atmosphère, «un indice climatique primordial». Tout cela simplement pour ne «plus entendre parler de changement climatique».

Ou ces deux dépêches tombées à quelques heures de distance sur le fil Teletext le 27 septembre 2024 et se toisant du regard: la première annonçant que le National enterre pour des motifs pécuniaires par 118 voix contre 71 l’idée qu’une future COP puisse être organisée à Genève, rappelant que «l’accueil d’un tel événement est en outre problématique d’un point de vue environnemental»; et la seconde annonçant la volonté du Conseil fédéral de «se mobiliser» en faveur de la candidature suisse pour les JO de 2038 et faisant de facto fi de toute préoccupation pour ce qui semblait quelques heures auparavant si important aux yeux des parlementaires.

Ou encore le premier numéro de «Système terre»3> «Contenir l’emballement bio-climatique», Système terre, n°1, Actes Sud, mars 2025., une collection d’essais initiée ce printemps par les éditions Actes-Sud. L’idée en est simple, chaque numéro comporte deux parties ou plutôt deux faces, la «face science» et la «face société». En commentant un article de Will Steffen et al. sur les limites planétaires, Nathanaël Wallenhorst nous offre une «note marginale» ô combien utile pour mettre à mal cette «position rassuriste» si à la mode aujourd’hui, toujours prête à nier les savoirs scientifiques et à croire le «blabla quotidien sur la transition énergétique, la croissance durable, les véhicules verts»… et tutti quanti.

A l’heure où, selon le bon mot de Günther Anders, «il n’y a rien de plus stupéfiant que l’absence de stupéfaction», de telles gloses marginales, de tels pamphlets sont plus que jamais nécessaires.

Notes[+]

Alexandre Chollier est géographe, écrivain et enseignant. Récente publication: November November. En route pour la Lune, la Terre en tête, Ed. La Baconnière, 2025

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