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Quand Genève éteint ses propres étoiles

Revenant sur notre récent article qui traitait de la pérennisation des œuvres en néon des quartiers de Plainpalais et des Grottes, à Genève, Sarah Zürcher estime que «préserver ces néons, c’est reconnaître que l’art ne se réduit pas à l’éphémère ni au spectaculaire».
Arts plastiques

Votre article sur les néons de Plainpalais et de la gare mérite commentaire car la pétition et la réaction de Fonds d’art contemporains soulève des questions essentielles.

Au moment où les institutions genevoises refont leur peau, est-il vraiment nécessaire d’éradiquer tous ces néons?

Genève aime se présenter comme un canton modèle, doté des budgets culturels les plus importants de Suisse. Mais qu’en est-il du paysage des arts visuels lorsqu’on décide, presque silencieusement, d’éteindre des œuvres qui avaient trouvé leur place dans l’espace public?

Les néons qui ponctuent la ville ne sont pas de simples décorations éphémères. Ils sont la trace d’un moment, d’un geste artistique, d’un dialogue avec la cité. Leur disparition programmée pose une question brûlante: quelle mémoire culturelle souhaitons-nous transmettre? Est-ce celle d’une ville qui investit dans de nouvelles façades institutionnelles tout en effaçant les marques lumineuses de sa vitalité artistique?

Détruire ces œuvres, c’est nier qu’elles ont contribué à façonner un imaginaire collectif, une identité urbaine et sensible. C’est oublier qu’une œuvre conçue dans l’espace public vit différemment de celle qui sommeille dans les réserves d’un musée. Elle touche, interpelle, et s’adresse à toutes et tous, au détour d’une rue, sans billet d’entrée.

Si Genève veut rester à la hauteur de sa réputation culturelle, elle ne peut pas seulement se reposer sur ses dotations financières ou ses grandes institutions. Elle doit aussi savoir préserver ce qui fait vibrer la ville au quotidien: les signes fragiles mais persistants d’une création contemporaine vivante.

Effacer les néons, c’est plus qu’un choix administratif ou patrimonial: c’est envoyer le message que les arts visuels sont interchangeables, remplaçables, accessoires. Or, au contraire, leur persistance dans l’espace public rappelle que l’art ne se réduit pas à l’événement, mais qu’il s’inscrit dans une durée, dans une mémoire ­partagée.

La question est donc moins de savoir combien coûte leur préservation que de mesurer combien coûterait leur disparition. Car un paysage culturel qui s’éteint peu à peu finit par laisser une ville sans éclat – riche de moyens, mais pauvre de symboles. A mon avis, ce que coûte la préservation de ces œuvres est bien peu de chose comparé au prix de leur effacement: un paysage artistique appauvri, une mémoire amputée, une ville qui brille par ses moyens mais s’éteint dans ses symboles.

Préserver ces néons, c’est reconnaître que l’art ne se réduit pas à l’éphémère ni au spectaculaire, mais qu’il est ce qui relie une communauté dans le temps. Les laisser s’éteindre, c’est risquer de voir disparaître avec eux une part de l’identité culturelle genevoise.

Sarah Zürcher,

Directrice des Journées photographiques de Bienne

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