Depuis quelques semaines, après la tribune de Johanne Gurfinkiel qu’a publiée Marianne, la presse romande a multiplié les entretiens avec le secrétaire général de la Cicad. Il expose sa tâche: nourrir le travail de mémoire, faire pièce à l’antisémitisme croissant depuis le 7 octobre 2023.
En lutte contre la gauche française, Marianne lui fait dénoncer sans peine en Suisse «une frange politique bien visible – à la fois activiste et clientéliste – qui a troqué l’universalité de ses valeurs pour une stratégie de captation électorale ciblée. Cette frange n’hésite plus à s’associer à des groupes prônant la haine de ‘l’entité sioniste’, du moment qu’ils crient ‘Palestine libre’ assez fort pour faire oublier le reste»1>Marianne, 4 juillet 2025, tribune de Johanne Gurfinkiel, «En Suisse l’antisémitisme s’est transformé en bruit de fond permanent».. Le message est clair: ces groupes sont ceux qui courtisent le nouvel ennemi intérieur, les musulmans. Et puis Gurfinkiel lance son mantra, il dénonce «une constante, comparer Gaza à Auschwitz».
Ah non! Il a fallu des décennies, et le travail de mémoire n’est pas fini, notamment en Suisse, pour prendre la mesure de la complicité passée avec l’antisémitisme nazi. Dans notre monde, que nourrit désormais cette connaissance, comment s’étonner que soit comparée avec Auschwitz l’horreur infligée à Gaza? Identifier cette comparaison à de l’antisémitisme? Quelle honte!
Mais enfin, que fait Netanyahou sinon comparer Gaza à Auschwitz, en martelant qu’ayant survécu à la Shoah l’Etat d’Israël est justifié quoiqu’il fasse?
Soyons clairs, en définissant le travail de la Cicad comme l’éducation à la mémoire et la lutte contre l’antisémitisme Gurfinkiel expose une stratégie: brandir la mémoire de la Shoah pour protéger l’Etat d’Israël.
Mais le syllogisme «Israël étant né du génocide le critiquer serait antisémite» est désormais inaudible. Comment, témoin de l’horreur qu’inflige cet Etat la société va-t-elle évoluer? Gurfinkiel appelle ses alliés politiques à tenir le cap. Il espère que «la majorité silencieuse cesse de laisser le champ libre aux extrêmes».
Pour défendre sa cause, «lutter contre l’antisémitisme» doit être séparé de l’antiracisme. Les droits humains universels, fondés sur le respect de chacune et de chacun, doivent être combattus. Ainsi Israël, et les Etats-Unis combattent depuis vingt-cinq ans la Conférence mondiale contre le racisme, qui s’efforce de poursuivre la lutte pour l’élimination de toutes ses formes.
Mardi 23 septembre, Emmanuel Macron annonce à l’Assemblée générale des Nations unies la reconnaissance par la France de l’Etat palestinien et avec elle, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et le Portugal. Trump condamne l’ONU avec une violence sans égale et le déploiement du génocide franchit un nouveau palier.
L’indifférence est impossible: reconnaître la Palestine et le génocide ou être complice des assassins. Nous ne voulons pas d’une mémoire sélective qui se réclame de victimes pour justifier la mort d’innocents!
Retour aux textes: l’ organisation intergouvernementale IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance, 35 pays membres, 8 observateurs) née en 1998 pour affronter les questions relatives à l’Holocauste et au génocide des Rroms, avait clairement fixé l’importance de la mémoire et les enjeux de la lutte contre l’antisémitisme.
Contrairement aux positions que lui attribuent le gouvernement israélien actuel et ses porte-flingues comme la CICAD, l’IHRA s’est clairement exprimée en 2020 à l’occasion du 75e anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination et des autres sites de persécution et de meurtre nazis:
«Nous, hauts représentants gouvernementaux des pays membres de l’IHRA honorons les victimes et les survivants du génocide des Rroms et des autres persécutés. Nous promettons de ne jamais oublier ni les résistants aux Nazis ni ceux qui ont protégé ou sauvé leurs congénères persécutés. Aujourd’hui encore, le monde affronte le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique, et des crime contre l’humanité, des menaces constantes contre les sociétés pluralistes, démocratiques et inclusives. (…) Déterminés à nous rappeler ceux qui ont souffert et à lutter pour un monde meilleur, nous appelons la communauté internationale à partager notre vision:
Un monde qui se rappelle l’Holocauste
Un monde sans génocide.»
Aujourd’hui, quiconque ne compare pas Gaza à Auschwitz ignore la catastrophe en cours, ce qu’elle fait subir au peuple palestinien, ce qu’elle fait subir à l’humanité tout entière. Il a fallu des décennies pour s’en prendre aux traces profondes que le génocide nazi avait laissées au sein des institutions et des sociétés: plus jamais ça.
Notes