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Le scandale Cicad

En coulisse

Si vous allez manifester en Suisse contre le génocide en cours à Gaza, il y a de fortes chances que vous soyez filmé·e et vous retrouviez ensuite sur une vidéo de la chaîne YouTube de la «Coordination contre l’antisémitisme et la diffamation» (Cicad), assimilé·e à des propagateurs de l’antisémitisme. Vous êtes radicalement opposée·e à l’antisémitisme, ou êtes vous-même juif·ve? Peu importe!

La Cicad existe depuis plus de trente ans à Genève. Elle bénéficie annuellement de 2 millions de francs de dons privés anonymes et de 100’000 francs de la Ville de Genève. Elle organise des dîners réguliers avec les cadres des partis politiques pour les inviter à se prononcer en fonction de son agenda. Au cours de ces dîners, elle interpelle, par exemple, la conseillère administrative en charge de la sécurité sur la recrudescence des manifestations ou s’inquiète de l’émergence politique de Rima Hassan.

La mission première affichée par la Cicad, celle de la lutte contre l’antisémitisme, paraît indéniablement noble. Mais elle s’accompagne d’une autre mission fondatrice qui, elle, l’est nettement moins: celle de défendre l’image d’Israël quand ses laudateurs l’estiment diffamée (le «d» de Cicad). Cette seconde mission accolée à la première est pour le moins problématique; elle essentialise tou·te·s les juif·ves comme partie prenante d’Israël et assimile automatiquement celles et ceux qui s’opposent à la politique d’Israël à des antisémites.

Le travail de propagande de la Cicad en faveur d’Israël est un secret de polichinelle, même si ses responsables s’en défendent. Les nombreuses publications distillées sur son site le prouvent. Florilège: dans un document datant d’une quinzaine d’années, intitulé «Questions sur le conflit israélo-arabe», la Cicad nous apprend que «les Arabes portent une certaine responsabilité dans le génocide des Juifs», que le «sionisme n’est pas une forme de colonialisme» et que si «le monde chrétien a fait des progrès en matière de lutte contre le racisme depuis cinquante ans», «ce travail d’autocritique n’a jamais été entrepris dans le monde arabo-musulman qui poursuit plutôt la tendance inverse». On apprend également qu’Israël n’est «pas responsable du problème des réfugiés palestiniens» et qu’en 1948 Israël «n’a procédé à aucun nettoyage ethnique».

Dans une autre publication intitulée «Petit manuel pour comprendre le Proche-Orient», la Cicad, pour parler de la Palestine depuis le VIIIe siècle, cite un extrait choisi du rapport Peel [Rapport de la commission d’enquête britannique sur la Palestine] de 1937: «Durant les douze siècles qui se sont écoulés depuis l’invasion arabe, le pays a quasiment disparu de la scène historique (…) Il est resté en dehors de l’Histoire tant sur le plan économique que politique. Même sur le plan culturel et scientifique, sa contribution à la civilisation est nulle.» Message compris?

Le secrétaire général de la Cicad assure à qui veut l’entendre que son organisation «ne défend pas les intérêts du gouvernement israélien». Il écume les plateaux télévisés pour condamner le boycott des produits israéliens ou traiter les lieux culturels ayant signé la charte «Apartheid free zone» de lieux «judenrein». Pour avoir dénoncé ce dernier point, le député socialiste genevois Sylvain Thévoz a subi des attaques hallucinantes de la part d’organisations cousines de la Cicad, demandant au Parti socialiste de le désavouer.

Après un début de carrière chez Bolloré, le secrétaire général de l’organisation a été responsable du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) en région Rhône-Alpes, avant de rejoindre la Cicad à Genève. En 2008, il critiquait, dans une publication de la Cicad intitulée «Réflexion sur l’image d’Israël en Suisse», la politique étrangère helvétique, alors dirigée par Micheline Calmy-Rey, car la Suisse avait condamné Israël à l’ONU. En 2025, il félicite sur les ondes de la RTS Ignazio Cassis et le Conseil fédéral pour leur positionnement «neutre» sur le même sujet.

Si tout ça ne paraît pas assez clair, il suffit de consulter l’historique du site de la Cicad, truffé d’interventions en faveur d’Israël et de documents sans ambiguïtés, dont une page datée de 2013 qui offrait carrément des liens internet vers les plateformes des institutions israéliennes, à commencer par un lien direct au site officiel de Tsahal et un autre au cabinet du premier ministre (déjà un certain Benjamin Nethanyahou).

Deux bandes dessinées publiées par la Cicad, mélangent allégrement de vrais épisodes de l’antisémitisme à travers le temps avec des partis pris interprétatifs en faveur d’Israël, le dénigrement de militant·es propalestinien·nes ou des portraits douteux de personnages d’origine arabe. Ces BD ont été soutenues par le Département genevois de l’instruction publique (DIP), la Ville de Genève et la Loterie romande. La première BD, signalée au DIP à sa parution par le Comité Urgence Palestine (CUP) pour certains passages confinant à l’arabophobie et définis par le Service de lutte contre le racisme de la Confédération comme «péchant par omission», se trouve toujours dans la majorité des écoles secondaires genevoises. La seconde BD, qui contient des histoires assimilant des manifestant·es contre la politique d’Israël à des antisémites (le fameux raccourci antisioniste = antisémite), a été inaugurée en grande pompe en 2022 en présence du conseiller administratif Alfonso Gomez, qui a félicité la Cicad pour son «combat extraordinaire».

A l’exception louable d’Ensemble à gauche, tous les partis politiques ont participé aux dîners mondains ou aux clips de propagande de la Cicad, légitimant de fait cette association. Sa subvention – doublée en 2023 – émane du Service Agenda 21 de la Ville de Genève et sera automatiquement renouvelée en décembre si nul ne s’y oppose. A l’heure où la flottille suisse porte fièrement l’étendard de la dignité humaine contre le colon génocidaire, notre classe politique se doit de prendre la mesure de la période historique et ne peut plus se permettre de soutenir une telle organisation. Il s’agit d’un scandale d’Etat, ni plus ni moins.

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

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