Dans un journal français dit «satirique» on pouvait voir, il y a plusieurs mois, alors que le génocide faisait rage à Gaza et que les mouvements de protestations en France, bien que réprimés, allaient croissants, un dessin représentant un enfant et son père devant un étal de supermarché. Titre: «Les mauvaises surprises de la rentrée scolaire.» Sur cet étal se trouvent des haches, des bombonnes de gaz, des keffiehs et des drapeaux palestiniens. Le papa, penaud, dit à son fils: «C’est hors de prix ton option antisémite.» Rires. Il y a plusieurs mois, dans le même journal, paraissait un dessin portant en titre «Pas de majorité absolue pour les Insoumis» et en dessous un portrait de Mélenchon bardé d’un t-shirt «sionistes fascistes», portant un keffieh et appuyé contre un drapeau palestinien qui déclare: «On n’a peut-être pas été assez antisémites». Re-rires. Il y a deux semaines, on pouvait voir une caricature représentait une Rima Hassan obèse au-dessus de laquelle il était écrit: «Rima a pris 20 kilos» et déclarant: «On n’allait pas laisser toutes ces victuailles aux juifs!» Rires encore. Un autre dessin représentait, un an après le 7 octobre, Mélenchon, une militante à keffieh (Rima Hassan?) et un musulman barbu, courir après un juif, couteau à la main et drapeau palestinien au vent, en hurlant «Nous les Juifs, on les oublie jamais!» Super drôle.
Ces dessins, outre leur médiocrité, ont en commun de délégitimer tout soutien au peuple palestinien et de l’assimiler à de l’antisémitisme. Rappelons que la France insoumise a été le premier parti à militer sans relâche contre le régime génocidaire israélien et à dénoncer ses complicités dans la classe politique et médiatique française. Dans le même journal encore, on voyait récemment un dessin de la flottille humanitaire pour Gaza s’éloigner, et des Gazaouis affamés imaginer, avec regret, que Rima Hassan et Greta Thunberg représentées en poulets fumants, auraient pu constituer un repas de choix. Kolossale rigolade! Dans un éditorial récent de ce journal, on trouve cette phrase qui donne une idée du reste de l’article et de la ligne de l’hebdomadaire en question: «Il est devenu moral, puissant, émancipateur de haïr les Israéliens et les juifs par extension. Et de poursuivre un seul but la destruction d’Israël. Tout cela en un seul mot-fusil: je suis antisioniste.»
Mais de quel journal s’agit-il donc? Valeurs actuelles? Front Populaire? Frontières? Causeur? Bref de l’un de ces trop nombreux journaux situés ouvertement à l’extrême-droite qui pullulent aujourd’hui en France et qui ont fait du soutien à Israël et à ses massacres une ligne politique majeure? La réponse, qui peut encore surprendre certaines personnes, est: Charlie Hebdo. Charlie Hebdo, soit l’emblème intouchable de la «liberté d’expression», le symbole matraqué de l’«esprit satirique français», devant lequel, paradoxalement, aucune satire n’est admise ni aucune critique audible sous peine de se voir taxer d’ignominie absolue, voire de complicité passive avec entreprise terroriste.
Pourtant, tout observatrice/observateur un peu attentive/attentif sait que le Charlie Hebdo actuel n’a strictement rien de commun avec le journal du même nom qui incarna un véritable contre-pouvoir et bien davantage entre 1970 et 1982.
Suite à la reprise en main douteuse du journal par le dénommé Philippe Val en 1992, puis par Charb et, enfin, suite aux attentats, par Riss, le journal satirique s’est transformé petit à petit en un supplétif du pouvoir occidental dans sa dimension post-coloniale la plus achevée. Sous couvert de «brocarder toutes les religions», un traitement spécial a été réservé à l’islam, avec une confusion constante entretenue entre islam lambda et islamisme radical à tendance terroriste. L’islamo-paranoïa du journal s’est concentrée sur la figure de la personne la plus vulnérable dans l’échelle sociale française (et européenne), à savoir la femme musulmane issue de l’émigration. Racisée et sexisée, elle est alternativement présentée comme une victime, une idiote aux traits parfois mongoloïdes ou une kamikaze potentielle. Le port du voile est pour les ineptes de Charlie Hebdo la preuve irréfutable de l’arriération de la femme musulmane, celle-ci forcément dénuée de tout libre arbitre ou de toute personnalité propre.
Et dans la série amalgame, la Une du journal montrant des cadavres d’une attaque terroriste à la voiture bélier gisant sur une route avec la légende «Islam: religion de paix» n’est qu’un fleuron parmi d’autres.
Là où le bât blesse est que nombre de gens «de gauche» soutiennent toujours le journal et n’ont pas encore intégré sa place importante dans le dispositif de désignation d’un ennemi intérieur, et dans sa participation à la montée de la fascisation ambiante. Ce rôle particulier continue toujours aujourd’hui, soutenu à bout de bras par les pouvoirs successifs; les dessins du journal sont relayés par des sites d’extrême droite comme F de Souche et applaudis par Marine Le Pen. Ses anciens responsables comme Philippe Val et Caroline Fourest écument les médias pour défendre les bombardements israéliens et s’attaquer au mouvement #Metoo.
Faire passer un agenda ultra-réactionnaire sous couverture pseudo-irrévérencieuse et provocatrice constitue une astuce de taille et un atout important pour l’agenda suprémaciste du pouvoir blanc. On laissera la conclusion à Molière, toujours pertinent quatre-cent ans plus tard: «Aujourd’hui, la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. L’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit d’une impunité souveraine.»