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Le smartphone, pas avant 14 ans

Nigel Lindup répond à Jean-Claude Domenjoz, auteur d’une récente agora sur l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles romandes, qui voyait la nécessité d’«outiller les jeunes à la vie connectée» (notre édition du 3 septembre).  
Débat

Pour Jean-Claude Domenjoz, l’interdiction des smartphones dans les écoles de la Suisse romande «apparaît comme une croisade anti-écran». Quelques définitions sont de mise. Un smartphone est un écran mais tous les écrans ne sont pas des smartphones. Un smartphone est un portable mais tous les portables ne sont pas des smartphones. Le débat sur l’apprentissage aux écrans et par les écrans est donc distinct du débat sur le smartphone.

Le smartphone est une technologie imposée sans décision démocratique ou évaluation de ses impacts sociaux. Son écran donne un accès indiscriminé à tout internet. Or, un portail personnel vers ce labyrinthe sombre est inutile dans l’enseignement du numérique. Personne ne maîtrise le numérique par l’usage du smartphone, pas plus qu’on apprend la mécanique en conduisant une voiture. D’ailleurs, l’expérience montre qu’une école sans smartphones est une école plus joyeuse, plus juste et plus productive.

Cet ordinateur de poche est dangereux. Même les adultes ont énormément de mal à en maîtriser l’usage et en éviter les pièges: pour beaucoup, utilisation est synonyme d’esclavage. Chaque semaine amène une nouvelle tragédie liée à l’accès incontrôlé aux réseaux sociaux d’un enfant seul dans sa chambre, perdu pendant des heures sans savoir comment en sortir. En Suède, des enfants en dessous de l’âge de responsabilité pénale sont sciemment recrutés par des gangs à travers leurs smartphones pour commettre des crimes atroces1> La police suédoise décrit (en suédois) les vecteurs de recrutement, p.ex. les réseaux sociaux: polisen.se/utsatt-for-brott/brott-mot-barn-och-unga/sa-rekryterar-kriminella-dig-som-ung/.

Le smartphone est conçu comme outil non pas de communication, mais de publicité. Son but est de capter et de figer l’attention de façon addictive, au bénéfice du commerce. Ses contrôles parentaux sont facilement contournables par un enfant, qui peut très vite être confronté à des idées et images crues, cruelles et totalement inadmissibles. Ses propres inventeurs le refusent à leurs enfants.
Le défilage constant (scrolling), l’exposition à des propos extrêmes et les exhortations sans fin à se comparer avec des modèles arbitraires empêchent les enfants de se former à leurs propres rythme et vitesse. Leur personnalité et leur cerveau, en plein développement et toujours immatures, ne sont pas capables de se défendre contre les assauts d’influenceurs, d’images de perfection truquées, et surtout de criminels qui guettent dans le cyberespace.

Voilà, comme le dit la conseillère d’Etat [genevoise] Anne Hitpold, que «posséder un smartphone n’est pas anodin». Pourtant, pour Monsieur Domenjoz, le problème est autre – il résiderait dans les «usages inappropriés» des écrans connectés. Il suffirait dès lors d’«outiller les jeunes à la vie connectée». Mais quel parent, quel·le enseignant·e, quel·le ministre de l’éducation connaît suffisamment cette technologie pour pouvoir établir des limites pour nos enfants?

Pour le mouvement global pour une enfance sans smartphone (Smartphone-freie Kindheit Schweiz.ch), l’enfance est trop courte pour être passée derrière un écran. Selon des jeunes adultes qui ont déjà (sur)vécu une telle enfance, leurs parents, innocents, n’avaient aucune idée de l’erreur qu’ils commettaient en leur donnant un smartphone.

C’est pourquoi ce mouvement recommande d’attendre l’âge de 14 ans au moins avant de donner cet outil à son enfant. Il propose aux parents des enfants d’une même classe de se solidariser en signant un «pacte parental» à cet effet. L’idée est de pallier le sentiment d’impuissance face à la généralisation du smartphone, tout en évitant l’exclusion de l’enfant, car les enfants ne peuvent pas alors alléguer que «tout le monde en a un!» Du coup, pas de problème d’usage en dehors de l’école. Des moyens alternatifs de communication sont proposés, tel le portable «stupide».
Actuellement, nous surprotégeons nos enfants des dangers imaginaires d’une place publique physique mais restreinte, tout en ignorant les dangers réels d’une place publique virtuelle et infinie. Laissons nos enfants jouer, se bouger, se développer naturellement! Ne leur volons pas leur enfance!

Nigel Lindup,Versoix (GE).

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