Au cours du dernier trimestre, la Banque nationale suisse (BNS) a augmenté de 88,4% sa participation dans la société américaine Trump Media & Technology Group, contrôlée par la famille de Donald Trump. C’est précisément pendant la période des négociations sur les droits de douane que la BNS a acheté 148 600 actions de cette société, propriétaire du réseau social Truth Social, principal vecteur de propagande du président américain. La société est aujourd’hui contrôlée à 53% par un trust détenu par le fils aîné, Donald Trump Junior, à qui son père a cédé ses actions peu après son élection. La valeur actuelle des 316’700 actions détenues par la Banque nationale dans cette société s’élève actuellement à 5,7 millions de dollars.
Cette information figure dans le dernier rapport sur la BNS publié aux Etats-Unis par le gendarme de la bourse américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC), qui communique chaque trimestre les positions en actions des sociétés cotées à Wall Street. Ce n’est que grâce à ces données qu’il est possible d’obtenir des détails sur les investissements en actions de la banque centrale suisse. En effet, Berne ne donne aucune information: «La BNS ne fait aucune déclaration sur les positions individuelles de son portefeuille», nous a déclaré un porte-parole de l’institution, contrôlée en grande partie par les cantons et plusieurs banques cantonales.
En janvier dernier, l’association américaine CREW (Citizens for Responsibility and Ethics in Washington), dont l’objectif est de lutter contre la corruption dans les cercles parlementaires et gouvernementaux américains, avait révélé l’information concernant l’investissement controversé de la BNS. Un investissement qui coïncide précisément avec l’élection de Donald Trump à la présidence. Jusqu’au troisième trimestre 2024, en effet, la BNS ne détenait aucune action dans le Trump Media & Technology Group. Les premiers titres ont été acquis à la fin de l’année 2024 et rendus publics dans le rapport publié par la SEC le 7 novembre 2024, deux jours après l’élection présidentielle qui a marqué le retour du républicain à la Maison Blanche. «Cette opération représente le premier cas connu d’investissement par une entité liée à un gouvernement étranger dans une société cotée en bourse appartenant au président», peut-on lire sur le site de CREW.
La nouvelle a ensuite été reprise par les journaux suisses, tandis que la conseillère nationale Jacqueline Badaran (PS/ZH) a interrogé le Conseil fédéral en mars dernier sur les risques financiers et politiques de cette opération. Le gouvernement s’est contenté de répondre qu’il ne pouvait se prononcer «sur la stratégie de placement et sur les différentes décisions de placement de la BNS».
Au cours de l’année 2025, les actions détenues par la BNS dans Trump Media & Technology Group ont continué d’augmenter. Elles s’élèvent actuellement à 316’700 actions, dont la plupart ont été acquises au cours du dernier trimestre, parallèlement aux négociations sur les droits de douane qui ont conduit à la décision retentissante de Trump d’imposer une hausse de 39% des droits de douane à la Suisse.
Contactée, la BNS se contente d’affirmer, de manière générale, qu’elle adopte «une approche aussi neutre et passive que possible dans ses investissements en actions». En substance, dans une optique de diversification de ses investissements, elle achète toutes les actions américaines. Et comme Trump Media & Technology est entrée en bourse en 2024, la BNS l’a ajoutée à son portefeuille l’année dernière.
En chiffres, l’investissement reste modeste: il représente 0,0034% du portefeuille actions de la BNS, dominé par les géants de la Big Tech tels que NVIDIA, Microsoft, Apple, Amazon, Meta ou Alphabet. Il n’en reste pas moins que cette participation soulève plusieurs questions d’ordre politique. Une banque centrale d’un pays neutre peut-elle investir dans des sociétés liées à la famille d’un président d’un autre Etat, qui plus est une superpuissance comme les Etats-Unis? Compte tenu également des relations commerciales très tendues entre la Suisse et les Etats-Unis, cet investissement est-il toujours opportun?
Le réseau social Truth a été le principal porte-voix électoral de Donald Trump. Le président y publie régulièrement tout et n’importe quoi, des annonces politiques les plus importantes aux menaces personnelles en passant par des messages d’autopromotion éhontée. Le succès de la société – comme l’indique son rapport annuel 2024 – «dépend en partie de la popularité de sa marque et de la réputation et de la popularité du président Donald J. Trump».
Une réputation qui s’est peut-être répercutée sur les marchés, puisque les actions de Trump Media & Technology ont chuté de plus de 40 % depuis octobre dernier. Une raison supplémentaire pour la BNS – dont les résultats du premier semestre 2025 sont très négatifs (à cause de Trump, selon les experts) – de revoir sa position?