Triste image: sept dirigeants européens et le secrétaire de l’OTAN alignés autour d’un Trump les dominant tel un professeur devant sa classe. Avaient-ils de quoi l’honorer si obséquieusement? Il venait de leur imposer des droits de douane de 15% jugés disproportionnés, appliqués récemment à des secteurs qu’ils croyaient jusque-là épargnés: vin, automobile, pharma; pour ne pas être taxés davantage, ils lui ont en plus promis des achats massifs d’armement et de gaz. Et à un sommet de l’OTAN, il leur avait encore arraché une augmentation à 5% de leurs dépenses militaires, avec ordre d’acheter de l’équipement américain. Sans parler de l’accueil déférent que, trois jours avant, Trump avait réservé en Alaska à un Poutine qu’eux considèrent comme un dictateur désireux de les asservir.
Ces capitulations tenaient sûrement à leur crainte que Washington oublie le conflit ukrainien. Mais là encore, ils doivent déchanter: non seulement Trump continue de tout faire pour se désengager, mais il leur transmet le fardeau de la suite des opérations. Qu’eux-mêmes paient les 100 milliards de dollars d’aide militaire dont l’Ukraine a besoin, avec un surcoût de 10% censé couvrir l’acheminement; et pour les garanties de sécurité à offrir à Kiev en cas de paix, qu’ils se débrouillent entre eux, aucun soldat US n’ira sur le terrain.
L’Europe encaisse sans broncher, sans voir l’image de faiblesse qu’elle offre là, et qui permet notamment à Israël d’étendre ses exactions en Palestine sans craindre de représailles. Elle que les pays du Sud accusent déjà de plus viser Poutine que Netanyahou, la voilà perçue comme un cénacle de sept petits nains soumis aux caprices d’un dirigeant prêt à tous les revirements.
Un aveuglement qui remonte loin et qu’elle refuse toujours de reconnaître; dès la fin du communisme, elle a cru que seule la mondialisation libérale représentait l’alternative, et elle s’est alignée sur un strict atlantisme, qui l’a notamment fait valider les choix des Américains envers l’ex-URSS, avec l’élargissement de l’influence occidentale le plus à l’est possible, militairement avec l’OTAN, économiquement avec l’UE. Faute d’avoir compris que cette stratégie froisserait vite une Russie d’autant plus irritable qu’elle avait perdu une large part de son leadership mondial, les Européens ont œuvré à la conquête de l’Ukraine, et cela sans toujours appréhender les fragiles équilibres de ce nouvel Etat, sans écouter ces sphères de leur diplomatie qui prônaient une politique de sécurité moins idéologique et plus autonome.
Après l’invasion russe de 2022, ce soutien à l’Ukraine leur a beaucoup coûté; ils ont consacré des milliards à la défense de ce pays et à sa survie économique, ont renoncé à un gaz russe bon marché et ont imposé à Moscou des sanctions qui les impactent aussi. Pas étonnant qu’ils s’affolent à la perspective d’un retrait américain et d’une paix bénéfique à Poutine. Et c’est la fuite en avant: minimisant la catastrophe qu’induirait une guerre ouverte contre le Kremlin, certains affirment que seule la force le fera plier, tandis que d’autres admettent en tout cas de payer davantage pour que l’Ukraine se retrouve en position favorable. Et autant tous acceptent les violations du droit international dues à Trump, autant ils continuent de s’indigner quand elles viennent de Poutine. Pour renforcer ce narratif orienté, ils dépeignent une Russie prête à envahir notre continent – menace à la crédibilité pas plus évidente qu’une défaite de cet Etat aux immenses ressources, aux alliés puissants, à l’arsenal nucléaire imposant.
Scénario inquiétant: déjà impactée par le protectionnisme américain, l’Europe aura-t-elle les ressources financières et morales pour soutenir seule Zelenski, cela en vue d’une victoire de moins en moins vraisemblable? Les mesures d’austérité qui s’ensuivront ne stimuleront-elles pas les populismes qui prospèrent sur son sol? Une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE n’avivera-t-elle pas les tensions qui la minent déjà? Et finalement, surarmée par Washington, mais économiquement et politiquement affaiblie, ne va-t-elle pas se rendre plus dépendante encore des USA, très contents de pouvoir par exemple la remplacer sur le marché russe? Des questions qui n’ont guère préoccupé ces dirigeants européens persuadés que flatter Trump les sert; face à lui, ils sont plutôt apparus comme des cocus contents. Avec eux, rien à espérer d’une union qui ne semble plus mécontente que se perdent sa prospérité, son indépendance et sa paix.