Madame, Monsieur,
Depuis octobre 2023, la population à Gaza vit un génocide sans précédent, documenté en temps réel avec des atrocités que même les médecins de guerre, même les journalistes et les humanitaires les plus expérimentés n’avaient jamais vu auparavant. Elle est victime de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Plus de 60 000 morts identifiés, bien que dans la réalité il pourrait y en avoir dix fois plus, essentiellement des civils, dont un nombre effrayant d’enfants, un nombre incalculable de blessés: la bande de Gaza n’est plus qu’un champ de ruines et un immense cimetière à ciel ouvert, les mots «un camp de concentration» ne sont pas de trop pour décrire l’innommable souffrance abjecte infligée par le gouvernement de l’Etat d’Israël et ses forces armées au peuple gazaoui, pendant que les attaques et les expropriations se multiplient, organisées, encouragées et soutenues par le gouvernement de l’Etat d’Israël en Cisjordanie.
Vous trouverez en annexe les noms des près de 20 000 enfants identifiés et massacrés depuis le 7 octobre 2023, publiée par le Washington Post. Je ne vous ai imprimé que les 1500 premiers. Si vous ne preniez ne serait-ce que dix secondes pour lire chacun des noms et y porter une pensée, il vous faudrait plus que 4 heures. La liste entière est plus de 12 fois plus longue. Il vous faudrait 50 heures pour la lire en entier et elle ne compte pas les 30 enfants massacrés chaque jour depuis.
Dans leur sommeil, pendant qu’ils sont allaités, leurs cris étouffés dans une fosse alors qu’un bulldozer les enterre vivants, brûlés vifs, alors qu’ils allaient chercher de la nourriture, alors qu’ils portaient de l’eau, avec des balles dans la tête, dans le cœur, dans les testicules, déchiquetés en morceaux, sous leur tente, affamés. Certains n’ont pas pu finir leur premier jour de vie.
Les attaques des forces armées israéliennes s’abattent quotidiennement – et délibérément – sur les hôpitaux, les écoles, les marchés, les infrastructures vitales, anéantissant toute possibilité de vie et de dignité pour 2 millions de Palestiniens. Ce n’est pas un conflit ou une guerre comme les politiques suisses et les médias continuent de le nommer: il s’agit d’une politique systématique de destruction et d’anéantissement qui, pour de nombreux spécialistes, en particulier de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ONG reconnues, répond à la qualification de génocide et nettoyage ethnique. Les multiples déclarations – surenchère d’horreurs – des représentants du Gouvernement israélien en donnent une preuve évidente.
La passivité – voire la complicité active – des Etats occidentaux est insoutenable. Tandis que la Suisse a rejoint sans hésiter l’ensemble des sanctions décidées contre la Russie pour des actes similaires en Ukraine, aucune mesure de ce type n’a été retenue contre le gouvernement d’Israël, malgré l’accumulation de preuves accablantes émanant de la Cour internationale de justice, du Secrétariat général et des expertes et experts du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de Médecins sans frontières et de témoins directs sur le terrain.
Pourtant, la Confédération, en ne condamnant pas l’action du gouvernement est des forces armées israéliennes, en coupant par moitié l’aide suisse à l’UNRWA sans aucun fondement et en conscience de l’absence de lien entre l’organisation et le Hamas, mais aussi en poursuivant ses relations commerciales et militaires, en particulier avec le gouvernement d’Israël – par exemple à travers des contrats avec Elbit Systems – ou l’exportation continue de biens «dual use» et de «biens spéciaux», apporte un appui matériel et moral à cette folie destructrice.
Comment puis-je, en tant que citoyenne, accepter de financer, via mes impôts, cette politique d’apartheid, de nettoyage ethnique, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre?
Je porte aujourd’hui une objection de conscience radicale et vous annonce solennellement que je m’interdis désormais de verser mes impôts fédéraux, tant que la Suisse continuera à cautionner par son silence et son inaction – mais aussi par son soutien matériel – ce génocide en cours. Je refuse d’être complice. Je refuse d’avoir du sang sur les mains. Je refuse de devoir dire à mes enfants que j’ai participé financièrement au carnage d’autres enfants et êtres humains, frères et sœurs. Il ne s’agit pas d’une désobéissance fiscale de confort, mais d’un acte de dignité humaine et d’exigence morale. Nul ne peut dire qu’il «ne savait pas», nous ne pouvons que dire «nous savions mais avons décidé de regarder ailleurs».
J’attends de la part de la Suisse la même intransigeance face à l’horreur à Gaza que celle dont elle fait preuve ailleurs.
Je demande que vous receviez ce courrier comme un appel à la responsabilité, et non comme une simple infraction administrative.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma détermination, rage et de mon humanité.
Sara Gnoni, Choulex, GE.