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Un consensus qui se fissure

Blaise Crouzier se demande comment trouver une majorité politique en Suisse pour sanctionner Israël jusqu’à ce que le droit international soit enfin appliqué sur toute la Palestine.
Israël-Palestine 

Le 11 août 2025 au soir, plusieurs habitants de Halhul et Surif, dans le district d’Hebron, ont été gravement blessés lors d’attaques de colons armés sous la protection de soldats d’occupation israéliens. Les colons ont détruit une récolte de raisins et en ont volé une autre. J’ai téléphoné à l’ami palestinien animateur d’une coopérative de production de jus de raisin dans cette région grande productrice de raisin de table pour avoir de ses nouvelles. Sa réponse fut simple, comme à chaque fois que je m’inquiète: «ça arrive tous les jours». Il suffit de lire les bulletins quotidiens de l’OCHA, l’Office des Nations Unies pour les affaires humanitaires en Palestine (www.unocha.org) pour savoir que la guerre d’épuration ethnique est à l’œuvre en Cisjordannie autant que la guerre génocidaire l’est à Gaza, c’est la même guerre: comme le disent beaucoup le «plus jamais ça» est en œuvre en Palestine.

L’horreur de la réalité apparaît même à travers les filtres du consensus prosioniste bien en place dans l’espace politico-médiatique où l’économie gouverne le politique. Le château de cartes des slogans mensongers du «droit d’Israël à se défendre» et de «l’antisémitisme caché derrière la lutte pour les droits des Palestiniens» est tombé. Est-ce qu’une majorité de Suisses·esses pense vraiment qu’il faille aider Israël à continuer à massacrer un peuple, depuis 77 ans, pour défendre des intérêts et des «valeurs» de la civilisation judéo-chrétienne supérieurs aux simples droits humains définis par le droit international, supérieurs à une simple humanité partagée?

La mobilisation des militants est totale, les mouvements nombreux, les manifestations se multiplient, s’amplifient dans la rue et dans les universités, les appels aux boycott aussi, la désobéissance civile est à l’ordre du jour, une population indignée se réveille, des municipalités prennent position, comme à Genève, des «Zones hors apartheid» de boycott sont créées, des voix juives se font entendre contre le sionisme en écho aux rares voix anti-colonialistes israéliennes comme celle de l’historien Shlomo Sand qui vit à Tel Aviv.

Pourtant, comme le dénonçait l’ex-ambassadeur suisse en Israël Jean-Daniel Ruch dans une interview au Courrier le 6 février dernier, «la Suisse calque sa politique sur l’agenda israélien»; sauf quelques mots mesurés de réprobation qui rebondissent sur le «dôme de protection» idéologique israélien, aucune sanction, Monsieur Cassis est toujours là, les accords de coopération y compris militaires toujours en oeuvre, une conférence demandée par les Nations unies annulée…

Se pose alors la question: comment trouver une majorité politique pour appliquer des sanctions politiques, juridiques et économiques à Israël répondant simplement aux demandes de Francesca Albanese rapporteuse des Nations unies sur la situation des droits humains en Palestine (Le Courrier 26 février 2025)? Pour sanctionner Israël jusqu’à ce que le droit international et tout le droit international soit enfin appliqué sur toute la Palestine, simplement l’autodétermination et la liberté de la mer au Jourdain!

Des fissures sont apparues dans le mur du consensus, des voix se sont élevées, des fonctionnaires du DFAE ont écrit à leur ministre pour lui demander de changer de politique, des syndicalistes ont votés des motions pour obtenir des prises de positions responsables de leurs organes de direction (CGAS-USS-…), des personnalités politiques, des chercheurs, des journalistes ont dénoncé les pressions de leurs rédactions pour imposer une bonne image d’Israël, des intellectuels, des professeurs de droit (Le Courrier des 24 novembre 2023, 25 septembre 2024, 3 octobre 2024, 16 mai 2025 et 11 août 25) des artistes ont dénoncé; et le soutien des autorités suisses à Israël, et leur silence. Si, dans les partis gouvernementaux et leurs électorats, de l’UDC aux socialistes, il y a des partisans des guerres économiques et armées, des conformistes, des opportunistes, il y a aussi des partisan·annes d’un monde réfléchi, conscient et juste. Sauf à bouleverser l’équilibre des partis, c’est aussi avec ces fractions de «conscients» que l’on pourra abattre le mur du consensus pro-israélien et changer la politique palestinienne de la Suisse. Il faudra aller les chercher.

Blaise Crouzier,
Genève