De l’éthologie animale à la psychologie, et sur fond de découvertes fondamentales en neurobiologie, l’empathie a pris, ces dernières années, une place considérable dans la description des comportements animaux, humains compris. Son importance est certainement encore sous-évaluée et est souvent minimisée pour des raisons politiques. La découverte des «neurones miroirs», ou de systèmes neuronaux équivalents ou complémentaires, qui permettent à des animaux – humains inclus – de comprendre, de ressentir ou de prédire les émotions, les mouvements ou les intentions d’un autre, éclaire les études sur les comportements les plus divers. Depuis celui du prédateur qui anticipe les mouvements de sa proie (ou réciproquement), jusqu’à celui du public qui anticipe les accords d’une musicienne, les pas d’un danseur. Ou bien qui partage les émotions, positives ou négatives, exprimées par un acteur, un tribun ou un simple vis-à-vis dans une conversation.
Le ressenti d’une situation, d’une action ou d’une déclaration d’un autre se traduit alors par une émotion comparable, partagée par l’observateur et l’observé, débouchant, selon sa nature, sur l’empathie ou l’hostilité. L’empathie peut aussi être provoquée par l’altérité, en particulier dans le cas des nouveau-nés et des jeunes qui, par les proportions de leur corps, leurs cris, leurs gestes ou leurs odeurs inhibent l’agression et induisent des réponses parentales. De tels signaux peuvent être communs à des espèces différentes (parfois proies et prédateurs!) et expliquent des «amitiés» animales ou des adoptions paradoxales.
Dans l’espèce humaine actuelle, d’origine unique récente, les caractères physiques et les signaux déclenchant l’empathie sont compris de tous·tes et universels. Mais la différentiation culturelle et les compétitions territoriales et politiques créent des marqueurs appelant, par conditionnement, à l’hostilité envers ceux qui appartiennent à d’autres communautés ou qui ne respectent pas des normes religieuses, politiques ou sociales arbitraires. Des normes hautement variables selon les pays, les classes sociales, les groupes d’âge et l’interprétation qu’en font les individus.
Dans une humanité pulvérisée entre les nationalités, les cultures (en particulier les langues) et les classes sociales, l’empathie naturelle de chacun pour les autres humain·es devient un problème pour les dirigeants religieux, politiques et économiques d’une communauté. Des éducations perverses sont alors développées pour lutter contre cette empathie, qui vont de l’exaltation de la «vérité» religieuse ou de la nationalité locales, dont sont exclus les infidèles et les étrangers, à la négation de l’humanité de ces derniers, théorisée par les colonisateurs, les racistes, les esclavagistes et les génocidaires. Entre les deux, le mépris des peuples entretenu par les capitalistes et autres néolibéraux bascule vite vers les seconds. Il est significatif que, dans un de ses délires, l’homme le plus riche du monde et enfant de l’apartheid sud-africain se soit emporté contre l’empathie1>Ndlr: voir edition.cnn.com/2025/03/05/politics/elon-musk-rogan-interview-empathy-doge.
L’empathie est déjà réprimée systématiquement, dans toutes les armées, presque toutes les polices et, plus généralement, dans tous les métiers où l’on doit obéir aveuglément à des ordres qui peuvent être inhumains. Les techniques de désinformation et les manipulations des identités et des appartenances par les propagandes politiques, sportives et commerciales viennent avant les répressions brutales dans le contrôle des populations, en particulier dans les prétendues démocraties libérales où l’argent achète tout, en particulier les médias. Mais, pour être élus, les dirigeants ne doivent pas être rejetés, ce qui les amène à simuler une empathie que beaucoup n’éprouvent pas ou plus depuis longtemps! Ainsi, comme les animateurs de télévision ou de spectacles, les acteurs ou les clowns, les politiciens rencontrés hors de leur activité de représentation professionnelle sont souvent très différents de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes; rarement, mais parfois, en bien!
Notes