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Croissance verte, réalité ou mirage?

Re-penser l'économie

Nous vivons sur une planète aux limites bien réelles, pourtant nos économies se comportent comme si elles pouvaient s’étendre indéfiniment. La «croissance verte» promet de résoudre ce paradoxe. Mais que recouvre exactement cette notion et quelles données permettent d’en évaluer la validité?

La notion de croissance verte stipule que la croissance économique peut perdurer tout en réduisant simultanément, de façon permanente et suffisante, la consommation de ressources naturelles et les rejets de gaz à effet de serre – et autres pollutions –, afin de rester dans les limites écologiques de la planète.

La croissance verte repose sur un concept incontournable, celui du «découplage». En effet, le terme désigne la dissociation entre la croissance économique, généralement mesurée par le PIB, et les dégradations infligées à l’environnement, souvent caractérisées par l’exemple des émissions de gaz à effet de serre. On distingue le «découplage relatif», où ces pressions continuent d’augmenter mais moins vite que le PIB, et le «découplage absolu», où elles diminuent alors même que la croissance économique se poursuit. La notion de croissance verte repose donc sur l’hypothèse d’un découplage absolu, rapide et soutenu qui permet de réduire l’impact écologique tout en maintenant une croissance économique1>Vadén, T., et al. (2020). «Decoupling for ecological sustainability: A categorisation and review of research literature»..

Jason Hickel, pionnier et figure de proue de la littérature scientifique sur la décroissance, ainsi que son collègue Giorgos Kallis se sont posé la question: «la croissance verte est-elle possible?»2>Hickel, J., & Kallis, G. (2020), «Is Green Growth Possible?», Environmental Science & Policy 112:236-244 New Political Economy Vol 25, Iss 4. dans un article de 2019. Leur constat est sans appel: si certaines économies ont connu, sur de courtes périodes, une réduction de leurs émissions de CO2 couplée à une croissance économique, aucun exemple documenté ne montre une réduction rapide et durable, à l’échelle mondiale, compatible avec les objectifs climatiques des Accords de Paris et l’objectif de limitation du réchauffement à 1,5 °C. Autrement dit, les données disponibles semblent indiquer que «croître et verdir» relève davantage d’un espoir infondé que d’une réalité empirique.

Si Hickel et Kallis soulignent l’absence d’exemples à l’échelle mondiale, l’économiste Timothée Parrique, établit dans son livre Ralentir ou périr3>Parrique, T. (2022). Ralentir ou périr: L’économie de la décroissance, Seuil. un diagnostic qui présente le comportement de l’économie contemporaine comme celui d’un métabolisme. Un système vivant qui, s’il ne ralentit pas, menace d’épuiser les ressources écologiques qui le nourrissent.

Cette perspective inverse la hiérarchie familière de l’économie comme moteur du progrès. Elle nous rappelle pertinemment que le progrès dépend de la nature, et non l’inverse. Pour Parrique, le concept de sobriété n’est pas un recours par défaut, mais l’indispensable condition écologique d’un modèle viable à long terme. Il souligne la nécessité d’organiser un ralentissement délibéré et équitable, en ciblant notamment les secteurs les plus polluants, pour assurer une transition soutenable.

Ces réflexions s’inscrivent dans un contexte scientifique préoccupant: selon la mise à jour 2023 des limites planétaires par le Stockholm Resilience Centre, six des neuf seuils écologiques critiques sont déjà dépassés, dont ceux relatifs au climat, à la biodiversité, à l’usage des terres et à l’eau douce4>Richardson et al. (2023), «All planetary boundaries mapped out for the first time – six of nine crossed», ScienceAdvences, Vol. 9, no 37.. Par ailleurs, les projections du Programme des Nations unies pour l’environnement et de l’Organisation météorologique mondiale indiquent que le seuil de +1,5 °C pourrait être franchi dès les toutes prochaines années si les émissions ne diminuent pas rapidement5>WMO (2024), «Global temperature likely to exceed 1.5°C above pre-industrial level temporarily in next 5 years», tinyurl.com/2zrxrxrm.

La question n’est pas seulement technique mais profondément politique: persister à miser sur une croissance verte rapide et soutenue, plutôt que d’envisager un ralentissement planifié, revient à fonder notre avenir commun sur un pari technologique incertain. Face à l’urgence, voulons-nous mettre en œuvre dès maintenant les leviers éprouvés pouvant freiner la crise, tels que la réduction ciblée de la production et de la consommation des secteurs les plus polluants, une sobriété énergétique intelligente et une protection des écosystèmes, ou préférons-nous confier notre avenir à l’espoir infondé que l’humain trouvera à ces catastrophes une solution miracle?

Notes[+]

Barthélemy Tripod est étudiant en bachelor d’économie politique et histoire économique et président de Rethinking Economics Genève.

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