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Le droit d’occuper l’espace public

Deux amies se demandent si en tant que femmes, en août 2025, on peut se poser sur une plage sans subir de violence ou d’intimidation.
Société

Plage des Eaux-Vives, un après-midi d’août 2025.

Il est 15h lorsque je m’installe seule sur la plage. Devant moi, un homme, avec ses deux enfants. De son sac, j’aperçois qu’il sort – et sirote – régulièrement une bouteille de blanc. Entre deux baignades, il boit. Le ton monte peu à peu. Il commence à insulter son aîné, l’accusant de ne pas jouer avec le plus jeune.

Deux heures plus tard, une amie me rejoint. Nous partageons un apéritif en débrifant de nos journées respectives. Pendant ce temps, l’homme accueille un ami. Bières à la main, ils se mettent à rôder sur la plage, utilisant les enfants comme «appâts». «T’as vu ce petit cul?» lance l’un d’eux, en désignant une adolescente posée avec sa mère. Ils se rapprochent avec les enfants. Une chasse à ciel ouvert. Propos dénigrants, affolants.

Vers 19h, l’homme enchaîne les insultes, tient des propos racistes, et s’en prend aux habitant·es du Lignon. Une mère s’indigne et l’interpelle, lui demandant de se taire devant ses enfants. Elle se fait insulter. Je décide d’intervenir: «Si quelqu’un doit partir, c’est vous.»
S’en suit un torrent de haine contre mon amie et moi-même. Pendant plus de trente minutes, l’homme nous prend à partie, nous insulte, nous rabaisse, nous dénigre en appelant ses enfants à en faire de même.

«Grosses vaches, sales gauchos, dégueulasses, c’est vraiment dégueulasse. Regarde-les comme elles sont moches. Elles mangent des cailloux. Incapables de donner des enfants. Broute-gazon. Elles sont bonnes qu’à brouter du gazon. En plus elles se reproduisent entre elles. Tu vois mon fils, faut leur fermer leur clapet à ces broute-gazon.»

Puis il part avec ses enfants. Et me crache dessus au passage.

Un torrent de haine sexiste et pourtant ordinaire.

Car personne n’a réagi. Des regards certes, mais pas un mot, un soutien, une intervention. Nous étions là, deux femmes visibles, simplement posées à la plage. Et nous sommes devenues des cibles. Parce que nous n’avions pas à «nous imposer». Parce que nous étions là, sans nous taire.

Alors, en tant que femme, peut-on en 2025 se poser sur une plage sans subir de violence, d’intimidation, d’humiliation?

Non. Mais nous refusons cette réponse. Nous refusons de nous taire. Ce témoignage est notre manière de dire aux gros cons: nous voyons, nous entendons et nous dénonçons. Et les «broute-gazon», les «grosses vaches» et les «mangeuses de cailloux» continueront d’occuper l’espace public. Avec ou sans votre approbation.

Maeva* et Camille, Genève

*nom connu de la rédaction