Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

Les toilettes pour dames

Huguette Junod milite pour des toilettes publiques non genrées.
Toilettes non genrées

Les icônes indiquant les toilettes dames et hommes prennent toutes les formes. Les plus courantes sont les silhouettes noires d’un homme en pantalon et d’une femme en jupe, tous deux bras ballants. Une version proche montre les silhouettes avec les bras croisés devant le ventre, pour suggérer un besoin pressant. Un rond qui surmonte un triangle, tête en bas pour les hommes, tête en haut pour les femmes, le bas faisant penser à une jupe. Deux visages stylisés. De plus en plus rarement, des personnages en smoking et robe longue…

On comprend immédiatement le sens de ces pictogrammes, destinés à séparer les sexes dans une activité intime. Mais avez-vous remarqué que les cabinets pour dames sont toujours situés après ceux des hommes, voire quasiment un étage plus haut, et qu’ils sont souvent moins bien agencés? Par exemple, à la salle communale du Faubourg, à Genève, les W.-C. hommes sont accessibles au rez-de-chaussée, mais on doit grimper plusieurs étages pour accéder aux toilettes dames. Aux Vieux-Grenadiers, il faut, comme souvent, descendre en sous-sol. Le côté femmes contient deux cabines, le côté hommes, trois, en plus des cinq pissoirs. Je pourrais multiplier les exemples.

De surcroît, on ajoute généralement un coin à langer dans les toilettes des femmes, perpétuant ainsi le cliché de la mère responsable des enfants, et/ou l’agencement pour personnes handicapées. Mon esprit mal tourné y voit une association «femme» / «handicapée» qui souligne, une fois de plus, la misogynie de la société.

Or les femmes ont besoin de plus de temps que les hommes pour se soulager. Non seulement parce qu’elles doivent se déshabiller au lieu de simplement ouvrir une braguette, mais aussi parce que les plus jeunes peuvent avoir leurs règles, ce qui prolonge encore la besogne. Il est donc illogique et irrespectueux de consacrer plus d’espace aux hommes.

On peut se demander d’où proviennent ces différences. Pour les lieux d’aisance situés dans des immeubles anciens, il est probable que les femmes ne les fréquentaient pas à l’origine. La Société des Vieux-Grenadiers de Genève a été fondée en 1749.

Mais où que ce soit, quelles que soient les dispositions, quand il y a foule, on constate une longue file avant les toilettes pour dames, alors que personne n’attend à l’extérieur de celles des hommes. Lors de l’entracte au Théâtre du Léman, la file court sur des dizaines de mètres. Il en faut, de la patience, quand on est une femme!

De plus, il manque généralement un crochet pour suspendre son sac et son manteau. Sans parler des dévideurs de papier hygiénique, dont certains semblent avoir été conçus par des ingénieurs sadiques. Enfin, certaines cabines sont si étroites qu’on se demande comment font les personnes en surpoids.

Personnellement, je n’attends pas sagement dans la file des femmes, et vais du côté des hommes, où, généralement, une cabine est libre à côté des pissoirs. Si quelqu’un m’explique que ces lieux sont destinés aux hommes, je réponds qu’il y a une queue du côté femmes, et s’il insiste, je lui dis en riant que j’en ai vu d’autres. D’autant qu’on ne voit rien, puisque les hommes sont tournés vers le mur et ne montrent que leur dos. En revenant, je tente de convaincre mes consœurs de faire de même, en vain. Les femmes sont masochistes!

«Les toilettes sont un opérateur de genre puissant», affirme Marie-Hélène/Sam Bourcier, sociologue spécialiste en études genre. «Ce sont des endroits de l’espace public qui véhiculent une vision binaire de la masculinité et de la féminité. Déconstruire cette binarité homme-femme fait peur, très peur.»1> HuffPost, 02.06.2016

Je pense néanmoins qu’on devrait déclarer les lieux d’aisance unisexes, ce qui inclurait les personnes LGBTQIA+. Surtout, il n’y aurait plus ces files insensées pour les femmes, tandis que les toilettes hommes sont presque vides.

Notes[+]

Huguette Junod est écrivaine (Perly, GE)