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«Je m’exprimais sur les raisons du recul de l’écologie»

François Gemenne, professeur titulaire à HEC Paris, répond à une chronique parue dans nos colonnes dans laquelle il était mis en cause.
Droit de réponse

Dans sa chronique du 7 juillet 2025, intitulée «Sois écolo et tais-toi», votre chroniqueur Edouard Morena estimait que j’incarnais l’immobilisme en matière de lutte contre le changement climatique: «Tel un hamster dans sa roue, écrivait-il, il croit avancer alors qu’il fait du surplace.»

Qu’il me soit d’abord permis de m’étonner, dans un titre qui se revendique humaniste et progressiste, de lire une telle attaque personnelle. Aucun désaccord, je crois, ne justifie des attaques ad hominem, et encore moins des comparaisons peu flatteuses avec des animaux – fût-ce un sympathique hamster. En cause? Des propos que j’avais tenus une semaine plus tôt à la radio Franceinfo, et qui me valaient cette diatribe du chroniqueur du Courrier.

Je m’exprimais en effet sur les raisons du recul de l’écologie en France, et plus largement en Europe. Ces raisons, expliquais-je, étaient d’abord à trouver dans une offensive de l’extrême droite, et plus globalement de la droite réactionnaire, qui avaient fait de la transition écologique un totem idéologique à abattre. Mais j’expliquais aussi qu’il me semblait nécessaire que les écologistes fassent également leur autocritique: n’avaient-ils pas, eux aussi, contribué à faire de l’écologie un totem idéologique, notamment en l’arrimant à la lutte des classes ou à la lutte contre le capitalisme? Les arguments développés dans les milieux écologistes contre la transition climatique, qui serait prédatrice d’autres ressources ou trop centrée sur la baisse des émissions de dioxyde de carbone, ne contribueraient-il pas, aussi, à alimenter le moulin de l’extrême droite et à faire reculer la transition? Ces arguments et critiques, qui pourraient légitimement être entendus dans un autre contexte, me semblent aujourd’hui contribuer à bloquer la transition, et faire le jeu des forces réactionnaires qui veulent en finir avec l’écologie.

Ces questionnements sur les stratégies et discours écologistes me semblent aujourd’hui absolument nécessaires si nous voulons maintenir le cap de la baisse des émissions de gaz à effet de serre amorcée en France et en Europe. Or, ce cap est menacé: le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat, en France, s’inquiète du ralentissement du rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre, et avertit que les objectifs, à ce rythme, ne seront pas tenus. La science nous rappelle que chaque dixième de degré de réchauffement fait une énorme différence. Cela veut dire, par corollaire, que chaque tonne de gaz à effet de serre en plus ou en moins fait également une énorme différence – d’où l’importance de maintenir le cap de la transition, aujourd’hui menacé.

Ce sont ces mêmes questionnements qui me valent aujourd’hui d’être taxé par votre chroniqueur, dans une attaque personnelle d’une violence que j’ai rarement lue dans vos pages, d’incarnation du «statu quo écologiste». Je crois au contraire que c’est le refus de ces questionnements qui menace aujourd’hui la transition climatique, et qui fait le jeu de l’extrême droite. Et je ne suis pas sûr qu’adopter les anathèmes qui caractérisent le discours de celle-ci soit le meilleur moyen d’avancer.

François Gemenne est professeur titulaire à HEC Paris.
Chercheur au FNRS (université de Liège, Belgique).
Coauteur du 6e rapport d’évaluation du GIEC.
Président du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).
Président du Sustainable Finance Observatory.