De tous les mauvais livres que j’ai lus cette année, celui-ci est le meilleur. Avec Fatherhood (paternité), Augustine Sedgewick propose une histoire de la paternité en huit chapitres structurés autour d’un «Grand Homme» pour la plupart connus de toutes et tous (bien que quelques noms restent relativement obscurs au lectorat européen): Platon, Aristote, Henri VIII, Charles Darwin, ou Bob Dylan. L’auteur part d’un constat: le problème auxquels les pères font face aujourd’hui, c’est l’absence de narratif ou de modèle auquel se référencer. Le recours à l’histoire peut, estime-t-il, nous montrer qu’il n’y a rien d’évident et de naturel au rôle de père, celui-ci étant constamment redéfini au gré des crises d’identité que les pères traversent. En outre, ceux qui ont exercé la plus grande influence sur le concept et la pratique ont souvent vécu l’inverse exact (Jean-Jacques Rousseau, qui abandonna chacun de ses cinq enfants à la naissance, devint d’abord célèbre pour son manuel d’éducation Emile). Ce qui fait de notre époque une époque particulière qui requiert de reprendre les bases et de recommencer, sont deux choses: d’une part, grâce aux test ADN, il est possible de déterminer sans aucun doute la paternité sur un enfant; d’autre part, cinquante ans de féminisme ont contraint les hommes à davantage s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants qu’auparavant. De portrait en portrait, Sedgewick souligne la tension entre «amour et pouvoir» constitutifs de la paternité, et la récurrence de questions par-delà les époques. Sa conclusion, qu’il attribue à une discussion avec son fils, est aussi petite que son ambition est grande: ce que les pères d’aujourd’hui doivent apprendre c’est, explique-t-il, à «être drôle et à faire des câlins».
Il peut être surprenant qu’un livre touchant à un pilier central de la masculinité reçoive, en pleine vague réactionnaire, une réception aussi positive que Fatherhood. Des feuilles généralement peu susceptibles de recommander un rôle plus actif des pères comme le Financial Times, The Economist ou encore le magazine masculin-par-excellence GQ ont salué sa parution. Surprenantes, ces acclamations le sont nettement moins en tenant compte du fait que le livre construit une ligne droite de la Grèce antique jusqu’à l’Amérique contemporaine, ignorant tout de la manière dont le reste du monde a vécu et vit la parenté. Elles le sont moins encore en notant que les femmes et les mères sont, au mieux, évoquées en passant ou en référence aux hommes-pères qui occupent tout l’espace. Comme il ne trouve intéressant que le canon occidental, il ne semble pas être venu à l’esprit de Sedgewick que la paternité ne se constitue pas dans un vide, mais dans un dialogue constant avec l’autre parent. Sa concession introductive qu’il s’agit d’une histoire des «white dads» («pères blancs») ne suffit pas à l’exonérer de ses choix. A quelques exceptions près, rien ne lie les personnages choisis au-delà de cette double qualité: il n’y a, au contraire de ce que le livre sous-entend, pas de continuité de Platon à Bob Dylan, en passant par Henri VIII, ou du moins aucune logique qui permette d’exclure le «Petit Père des peuples» (Nicolas II ou Staline) ou l’institution papale. Que Fatherhood ait conquis les critiques culturels des journaux de la droite libérale est, au final, assez logique: il offre la confirmation que le père est une figure centrale dont le rôle doit être défini par et pour les hommes, qu’être père a toujours été un défi insurmontable auquel les hommes ont longtemps préféré échapper et, surtout, que les pères d’aujourd’hui n’ont qu’à faire preuve d’un peu plus d’humour et de tendresse. Des efforts assez agréables, qui ne comprennent aucun sacrifice, basés sur l’acceptation des revendications féministes des années 1970.
Le livre n’est pas mal écrit, il est mal conçu. Sedgewick remet les écrits des hommes qu’il présente dans le contexte de leur trajectoire biographique ainsi que de l’époque dans laquelle ils évoluent, avec beaucoup de réussite. Pour problématique que la focale soit, penser aux «Grands Hommes» en tant que pères les ramène à taille humaine. En outre, Sedgewick éclaire la vie de certains d’entre eux avec des recherches originales – comme sur l’importance de l’esclavage pour l’entreprise de crayons de l’abolitionniste Henry David Thoreau, intriguante mais peu utile à l’argument du livre –, ou met en évidence l’importance de l’expérience de la paternité pour leur travail – comme pour Charles Darwin, particulièrement investi dans la vie de ses enfants. Fatherhood, une lecture distrayante et amusante, décevra toutes celles et ceux qui attendent une réflexion sur la paternité telle que vécue dans le passé, et telle qu’elle pourrait être redéfinie pour le futur.