Mardi se tenait au Tribunal de première instance de Porrentruy le procès de Caroline Meijers, présidente du Mouvement jurassien de soutien aux sans-papiers et migrant·es (MJSSP). Elle est accusée d’avoir facilité, l’an dernier, le séjour illégal d’un demandeur d’asile. Plus précisément, il lui est reproché d’avoir hébergé – ou simplement prêté son adresse – à un Syrien d’une trentaine d’années, afin d’éviter la suspension de sa procédure d’asile.
Ce cas fait écho à d’autres affaires très médiatisées: celle d’Anni Lanz, militante bâloise condamnée en 2019 pour avoir ramené en Suisse un jeune Afghan de 25 ans, expulsé vers l’Italie et dormant dans la rue à Milan; ou encore celle de Norbert Valley, pasteur neuchâtelois poursuivi pour avoir offert un abri dans son église à un sans-papiers.
Depuis la médiatique «affaire Jacqueline Deltombe» en France en 1997, l’hospitalité privée s’est retrouvée au cœur des débats sur les politiques migratoires. Ce qui semblait un geste ordinaire – héberger un·e étranger·ère – s’est transformé en acte lourd de conséquences. Cette hospitalité est pourtant parfois valorisée et même soutenue par les autorités. C’est le cas, par exemple, de l’hébergement des réfugié·es ukrainien·nes par des familles suisses, un modèle promu par des organismes comme l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants), qui vante les bienfaits de la cohabitation pour la stabilité, l’intégration linguistique et sociale.
Mais toutes les personnes poursuivies ne sont pas militantes ou citoyennes suisses prêtes à défendre publiquement leurs actes. Nombre d’accusations visent aussi des personnes étrangères qui hébergent des proches. Un cas peu médiatisé en Suisse romande est raconté en détail par Republik1> www.republik.ch/2023/11/08/am-gericht-gefaehrliche-gastfreundschaft. En 2023, une femme a été poursuivie à Bienne pour avoir hébergé trois nuits son beau-frère albanais, venu frapper à sa porte sans prévenir. Or, ce dernier avait dépassé la durée de séjour légal de 90 jours et se trouvait donc en situation irrégulière. Alors que les militant·es peuvent plaider un acte solidaire et désintéressé – ce qui ne garantit d’ailleurs pas leur acquittement à, une personne étrangère venant en aide à un proche éveille le soupçon de fraude ou d’abus. La juge a finalement reconnu que cette femme ignorait la situation de son beau-frère et que, face à un proche dans le besoin, il est normal de lui ouvrir sa porte, de lui prêter une clé si l’on doit s’absenter pour travailler.
Même en cas d’acquittement, la longueur des procédures, la menace d’une amende ou d’une inscription au casier judiciaire incitent à la prudence, quitte à laisser un proche dans la détresse. Car selon l’article 116 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI), presque toute interaction avec une personne sans statut légal peut être interprétée comme facilitant «l’entrée, la sortie ou le séjour illégal d’un étranger», passible d’un an de prison ou d’une amende. Le fait de tirer profit de l’hébergement constitue une circonstance aggravante, mais l’absence de contrepartie ne protège pas nécessairement contre les poursuites.
Cette sévérité s’inscrit dans une longue tradition de contrôle étatique sur la sphère privée, particulièrement à l’égard des personnes étrangères, dans le contexte d’une régulation migratoire de plus en plus stricte depuis le XXe siècle. Le privé est toujours politique, mais il l’est d’autant plus pour les personnes d’origines étrangères et davantage encore pour celles dont la présence est jugée illégale.
Aux Pays-Bas, des journalistes ont révélé au mois de juin de cette année que des réfugié·es sous-louaient des logements sociaux – une pratique courante dans un marché immobilier saturé. Mais le fait que ces cas concernent des réfugié·es a provoqué un tollé. Le parti d’extrême droite PVV de Geert Wilders a aussitôt fait adopter une motion visant à renforcer la surveillance des sous-locations illégales impliquant des réfugié·es.
Ces réactions révèlent un paradoxe: l’hospitalité ne se transmet pas. L’étranger·ère accueilli·e, même légalement, demeure un·e invité·e permanent·e, sans légitimité à accueillir à son tour. L’Etat, se plaçant en hôte d’ordre supérieur, décide qui peut héberger qui, dans l’intimité de son foyer. Ce cadrage par la rhétorique de l’hospitalité s’inscrit dans l’imaginaire nationaliste du Vaterland ou de la «mère patrie», où la nation s’apparente à une grande famille, unie par une «fraternité» exclusive. Dans ce cadre, l’invité·e reste à sa place, et l’hospitalité, sous conditions, demeure un privilège non transmissible.
Notes