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Responsabilité académique face à la crise à Gaza

«La situation à Gaza appelle à une mobilisation urgente du monde universitaire», écrivent neuf professeur·es dans cette lettre ouverte, qui regrettent que l’université de Genève s’abstienne de toute prise de position.
Lettre ouverte 

Mercredi 25 juin dernier, l’assemblée de l’université de Genève adoptait une motion visant à rétracter le document du comité scientifique sur le rôle des universités dans le débat public et faire connaître les sanctions disciplinaires, suite à un possible cas de plagiat dans une version antérieure de ce rapport. Cette motion soulève des enjeux réels en matière d’intégrité scientifique. Toutefois, l’Assemblée a éludé la question centrale qui avait motivé la création de ce comité : la demande, émanant de la communauté universitaire, que l’Université prenne clairement position sur la situation à Gaza et sur ses liens avec Israël.

Dans un contexte où la communauté internationale est confrontée à une crise humanitaire d’une ampleur sans précédent à Gaza, il est essentiel que les institutions académiques restent fidèles à leurs principes fondamentaux et ne se laissent pas détourner par des enjeux internes. Les intellectuels ont la responsabilité de porter leur attention et leur engagement sur les violations les plus graves du droit, en particulier lorsqu’elles impliquent, directement ou indirectement, leurs propres institutions ou Etats. La situation à Gaza appelle à une mobilisation urgente du monde universitaire: des populations y sont tuées ou affamées, tandis que les Etats occidentaux – y compris la Suisse, par ses partenariats, ses financements ou son silence – portent une part de responsabilité. Dans ce contexte, donner la priorité à une affaire interne de déontologie académique, au détriment d’un désastre humanitaire majeur, constitue un manquement éthique préoccupant.

En mai dernier, l’université de Genève annonçait le non-renouvellement de son partenariat stratégique avec l’université hébraïque de Jérusalem. Cette décision, bien qu’importante, n’exclut en rien d’autres formes de collaborations institutionnelles, notamment à travers des programmes tels que Horizon Europe ou les projets conjoints entre le Fonds national suisse et l’Israel Science Foundation. La prudence observée par notre université contraste, par exemple, avec la position affirmée du Conseil des recteurs des universités belges qui a, cette semaine, appelé les dirigeants de l’Union européenne à suspendre l’Accord d’association entre cette dernière et Israël1> vlir.be/nieuws/appeal-suspend-association-agreement. Ce texte rappelle que les traités européens fondent toute coopération sur le respect des droits humains et conclut que leur violation systématique devrait logiquement entraîner la suspension de l’accord. Cet appel dépasse le cadre strictement universitaire, en ce qu’il concerne un traité de coopération bilatérale structurant l’ensemble des relations politiques, économiques, scientifiques et culturelles entre l’UE et Israël.

Noam Chomsky, figure éminente de la pensée critique contemporaine, rappelle que «la responsabilité de l’intellectuel n’est pas une fonction institutionnelle, mais une obligation morale». Informer le public, questionner le pouvoir, agir avec intégrité: ces principes doivent guider les institutions académiques, notamment lorsque les faits sont largement documentés, comme c’est le cas aujourd’hui par les agences onusiennes et les ONG. Il est temps que l’université de Genève rejoigne les démarches entreprises par ses homologues belges et appelle publiquement à la suspension des accords de coopération entre la Suisse et Israël, tant que les violations massives des droits humains se poursuivent. Une telle prise de position ne relèverait pas d’un acte militant, mais bien d’un impératif de cohérence éthique avec les valeurs inscrites dans notre charte: humanité, responsabilité, vérité.

* Julie Franck, maître d’enseignement et de recherche, Ur Shlonsky, professeur honoraire, Claire-Akiko Brisset, professeure, Corinne Charbonnel, professeure, Vista Eskandari, assistante, Juan M. Falomir-Pichastor, professeur, Stéphane Paltani, professeur, Daniel Schaerer, professeur, Valeria Wagner, maître d’enseignement et de recherche