Des hommes et des femmes récoltent des choux-fleurs dans un gigantesque champ, quelque part en Californie. Soudain, sur toutes les routes d’accès au champ, des SUV blancs à bande verte arrivent à vive allure. Ce sont les patrouilles de gardes-frontières et la milice de l’Immigration and Custom Enforcement (ICE) qui procèdent à une rafle. Les récolteuses et récolteurs fuient en courant, mais toutes les issues sont barrées par les véhicules. De telles scènes se répètent, depuis le début du printemps, dans la plupart des exploitations agricoles du territoire californien.
Comme tous les régimes impérialistes, les Etats-Unis de Donald Trump mènent simultanément des guerres sur les fronts extérieur et intérieur. Dès avant son second mandat, le président réélu avait décidé d’attaquer les travailleuses et travailleurs agricoles de Californie. Une guerre intérieure qui a un aspect paradoxal: personne ne veut réellement que ces salarié·es agricoles retournent dans leur pays d’origine. Ils et elles sont indispensables au fonctionnement de l’agriculture de la Californie et les lobbys d’exploitant·es agricoles se plaignent déjà des conséquences des rafles sur la production.
Le système agricole californien est très intensif: seuls 10% du territoire de l’Etat sont dédiés à l’agriculture, mais produisent un tiers des fruits et légumes consommés dans l’ensemble des Etats-Unis. Très mécanisée et dépendant de l’irrigation, l’agriculture californienne exploite cependant pas loin de 500’000 personnes dont la moitié seraient sans statut légal. Leurs conditions de travail sont extrêmement difficiles. La plupart des récolteuses et récolteurs sont encore payés à la pièce (selon le poids ou le nombre de contenants récoltés). D’autres encore travaillent à la journée sans véritables congés payés. Depuis le début des années 2000, les conséquences du dérèglement climatique atteignent violemment ces travailleuses et travailleurs dont les chaleurs très importantes et les nuages de cendres produits par les feux de forêts mettent la santé en danger.
Mais si cette main-d’œuvre précarisée est indispensable à ce modèle agricole et que sa déportation ou son incarcération met en danger la production, pourquoi les rafles qui ont enflammé Los Angeles ont-elles lieu? Quels sont leurs objectifs?
Le climat de peur instauré par ces actions de l’ICE rend plus difficile le travail d’organisation collective des travailleuses et travailleurs pour l’amélioration des conditions de travail. Depuis 1966, les salarié·es agricoles de Californie se regroupent au sein d’un syndicat, l’United Farm Workers (UFW). Syndicat de base, l’UFW est né de la Grève des raisins de Delano (Delano Grapes Strike), un mouvement qui s’est étendu de 1965 à 1970 et aboutit à la reconnaissance du droit des ouvrier·ères agricoles de se syndiquer.
Durant ses premières années d’existence, l’UFW a maintenu une position syndicale classique sur l’immigration: celle-ci doit être régulée par l’Etat et les personnes sans statut légal doivent être expulsées. Un changement d’orientation s’est opéré dans les années 1980 et a conduit le syndicat à défendre les droits des travailleuses et travailleurs sans statut légal. Dans les années 2010, une coalition nationale pour les droits des salarié·es agricole a obtenu la mise en place d’un programme de régularisation avec une procédure facilitée, l’AgJobs Act. Progressivement depuis lors, les travailleuses et travailleurs agricoles obtiennent des améliorations de leurs conditions de travail, des contrats collectifs et réclament des régularisations massives.
C’est bien sûr cette dynamique que l’administration Trump essaie de briser par ces rafles. L’UFW l’a bien compris et se trouve désormais à la pointe de l’opposition aux rafles de l’Immigration and Custom Enforcement (ICE). «Nous ne permettrons pas, écrit le syndicat dans un communiqué du mois d’avril, que ces tactiques d’intimidation et de peur nous éloigne de ce qui est notre travail prioritaire, c’est-à-dire faire connaître leurs droits aux travailleuses et travailleurs agricoles quel que soit leur statut migratoire. Nous restons sur le terrain, dans les champs et dans les communautés, pour partager les ressources utiles à toutes et tous.»
Mais les rafles qui se poursuivent servent également des objectifs politiques du président Trump. Ce sera l’objet de notre prochaine chronique.