Sous la plume d’Antoine Harari, la Tribune de Genève a publié un article sur les «méthodes très controversées» d’un chasseur d’appartement1>A. Harari, TdG, 6 mai 2025, https://tinyurl.com/3mvj98vn. Un agent de relocation obtenait plusieurs baux à l’insu de ses client·es pour ensuite les sous-louer à d’autres avec une marge de profit. De même, il escroquait des locataires en sous-louant des logements concernés par un jugement d’évacuation.
Le courtage immobilier – c’est de cela dont il s’agit – n’est pas encadré, contrairement aux professions médicales. N’importe qui peut s’adonner à cette activité. Le respect des règles de droit civil (contrat de mandat), mêmes impératives, n’est pas contrôlé automatiquement par une autorité. C’est à la victime de saisir le juge. Ceci explique l’impunité dont bénéficient certains escrocs.
Prévoir une obligation de se déclarer à un registre public et soumettre l’inscription à certaines garanties pourrait remédier au problème: absence de condamnation pénale pour des actes liés à cette activité professionnelle, garantie de la capacité à restituer les fonds confiés par les client·es (compte fiduciaire), assurance de responsabilité civile professionnelle pouvant couvrir les dommages causés aux client·es, probité et formation suffisante, etc. L’Etat serait autorisé à enjoindre les courtiers à respecter ces obligations, sous peine de sanctions allant jusqu’à l’interdiction d’exercer.
Aujourd’hui, celle ou celui qui fait appel à un·e courtier ne dispose d’aucune garantie équivalente. L’autorégulation est inopérante. En atteste la suspension de la régie Brolliet2>M. Renfer, TdG, 28 janvier 2025, https://tinyurl.com/5ccy9p9a par l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI). Cette mesure n’est d’aucune utilité pour les locataires.
Pour les logements locatifs, les chasseurs d’appartements se sont multipliés. L’attribution des logements relève exclusivement du choix du bailleur et/ou surtout du régisseur. En sus de la solvabilité, c’est avant tout le réseau qui compte. Dans son article, M. Harari cite une source qui explique le succès de l’escroc dénoncé: «des contacts dans plusieurs régies et des relations avec des propriétaires qui lui permettent de trouver à chaque fois de nouveaux appartements», soit en résumé la politique du «piston». Le chasseur d’appartement est un ersatz pour celles et ceux qui ne sont pas en cour auprès des milieux immobiliers.
Il faut donc penser plus loin en s’inspirant du secteur public et des maîtres d’ouvrage d’utilité publique (MOUP). Ces derniers sont des bailleurs privés sans but lucratif qui s’engagent3>Armoup, charte des maîtres d’ouvrage d’utilité publique, https://tinyurl.com/3uk9x86w à offrir un habitat pour toutes les couches sociales, à prêter une attention particulière aux familles, personnes handicapées, personnes âgées. Pour l’attribution du logement, les MOUP appliquent des taux d’effort et d’occupation. En sus, si le bailleur est une collectivité publique, ces règles sont complétées dans le domaine des logements sociaux, afin que les besoins spécifiques des candidat·es soient pris en compte. Le traitement des demandes est priorisé selon un ordre allant du demandeur à la rue à celui ou celle dont le logement est «inadéquat»4>A Genève, pratique administrative PA/L/039.07, https://tinyurl.com/5ax28zjb.
Le décalage entre les «loyers de l’offre» et la capacité financière des ménages se creuse. Près de la moitié des personnes à la recherche d’un logement sont exclues. Il se justifie d’imposer des priorités similaires à celles des MOUP pour une partie du parc locatif privé. L’objectif de la majorité des bailleurs à but lucratif (banques, fonds de placements, assurances, etc.) et des caisses de pension est uniquement d’obtenir un rendement sur le capital. Celui-ci étant garanti par le droit fédéral, ces bailleurs n’ont aucun intérêt privé prépondérant à choisir des candidat·es à la location: s’il est envisageable qu’un particulier veuille favoriser des proches, il n’en va pas de même pour un fonds immobilier de l’UBS.
Il serait conforme à la Constitution d’imposer sur une partie du parc immobilier des candidatures sélectionnées selon la priorité du besoin. En effet, la garantie du droit de propriété ainsi que la liberté économique peuvent être restreintes par la loi dans un but d’intérêt public (art. 36). A titre d’exemple, il en va déjà ainsi pour les logements sociaux en mains privées dans le canton de Genève. 20% de ce parc (HBM, HLM, HM) est réservé aux locataires inscrits auprès des pouvoirs publics.
Hormis un débat parlementaire confiné, ces revendications restent marginales malgré leur importance. Elles devraient être au cœur des thèmes soutenus par les actions de mobilisations sociales durant les prochains mois.
Notes