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Travailler dans les centres fédéraux d’asile

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NON au CFA du Grand-Saconnex

Début 2020, nous avons contacté le Secrétariat d’Etat aux Migrations pour demander l’autorisation d’entrer dans le Centre fédéral d’asile (CFA) fribourgeois de Giffers, afin d’y rencontrer les personnes NEM Dublin [dont la demande d’asile a été déboutée sans examen sur le fond, du fait qu’elles ont transité par un Etat membre de l’accord de Dublin]. Nous avons expliqué les raisons de notre demande; nous avons déclaré que nous accepterions de respecter le règlement de l’établissement. Rien n’y a fait: la réponse a été que si l’on souhaitait entrer pour animer des ateliers de couture ou servir le thé, c’était possible; sinon, non. Seul·es les bénévoles pouvaient entrer dans ce centre. Mais c’était sur la pointe des pieds, sans rien révéler de ce qui pouvait être observé, sinon quoi la porte se refermerait immédiatement. Dans les CFA, la vie est réglée par ORS [prestataire de services privé mandaté par la Confédération] et les agents de sécurité.

L’Echo Magazine a récemment livré un portrait de l’entreprise: «Né à Zürich en 1992, le groupe ORS (Organisation for Refugees Services) reçoit des mandats de la Confédération, des cantons et des communes pour gérer le système de santé et l’encadrement dans plusieurs centres d’asile en Suisse. Proposant des prix bas, cette organisation privée à but lucratif a évincé petit à petit Caritas, l’Armée du Salut ou encore la Croix-Rouge. (…) Rachetée en 2022 par Serco, un groupe britannique coté en bourse et actif notamment dans le secteur carcéral en Grande-Bretagne et en Australie, ORS, qui compte des centaines d’employés, a étendu ses activités à l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grèce.»

Annelise Bergmann-Zürcher, infirmière ayant passé dix ans dans le centre de requérant·es d’asile de Vallorbe, devenu un CFA en 2019, a publié en 2024 Récits du bas seuil. Parcours d’une infirmière aux Editions d’en bas. Dans son livre, elle raconte comment, dès l’entretien d’embauche, ORS a affiché la couleur, en posant la question suivante à la candidate: «Trouvez-vous choquant que l’entreprise fasse du bénéfice sur le dos des requérants d’asile?» Les conditions de travail et les pressions subies par le personnel sont pesantes: empêchement de se retrouver et de se parler au moment des pauses; impossibilité de travailler selon le code éthique enseigné aux personnels soignants pendant leur formation; autodestruction et burn-out liés à une quantité de travail immense, mal fait et culpabilisant.

Anne Ackermann, infirmière au CFA temporaire de Bure, dans le Jura, a raconté à son tour à l’Echo magazine comment elle avait été licenciée de manière abrupte du centre en question: de jeunes requérants d’asile arrivés en plein hiver n’avaient que des vêtements d’été. L’infirmière a alors organisé une collecte d’habits dans une paroisse voisine et les a amenés aux requérant·es. Ce qui lui a valu un licenciement. Ayant porté plainte pour licenciement abusif, elle a perdu sa cause car, selon ORS, «seules les personnes qui savent garder leurs distances peuvent accomplir leur mission dans un contexte où il faut savoir trouver le juste équilibre entre proximité et distance…». Cette figure de style s’appelle une tautologie – ou le serpent qui se mord la queue – mais ORS a gagné. 1>A ce sujet, lire aussi Le Courrier des 15 mars et 26 septembre 2024, ndlr.

Quant à Annelise Bergmann-Zürcher, l’infirmière de Vallorbe, elle relève encore dans son ouvrage que les relations du CFA avec l’extérieur, notamment les associations de soutien aux migrant·es, sont inexistantes. Les syndicats non plus n’ont jamais pu entrer à Vallorbe: le centre est comme une planète lointaine où rien n’est exactement comme sur la terre.

Nous-mêmes n’avons jamais rencontré directement ni le personnel ORS ni les agents de sécurité des CFA, à l’exception d’un Protectas qui nous a fait part de conditions de travail déplorables et de contrats précaires. Cette personne nous a parlé peu avant de démissionner.

Non au CFA!

Notes[+]

Association de soutien aux migrant·es basée à Genève
(solidaritetattes.ch)
Le collectif Non au centre de renvoi du Grand-Saconnex organise un forum-expo du 15 au 28 mai. Prochaines rencontres: sa 17, dès 16h30: trois discussions thématiques suivies d’une table ronde; di 18, 14h30: écoute du podcast «Dernier recours», 16h30: projection de L’audition, docu. de Lisa Gerig (2023), suivie d’un repas. Duplex, 9 r. des Amis, Genève. Infos: nonaucentrederenvoi.wordpress.com

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