Ce 24 avril, je publiais un texte sur le média en ligne Bonpote sur l’évènement ChangeNow, «l’exposition universelle des solutions pour la planète» qui se tenait au Grand Palais, à Paris, les 24, 25 et 26 avril. Sponsorisé, entre autres, par BNP Paribas, L’Oréal, Vinci, ou encore Bouygues, et destiné aux professionnels de la transition bas carbone, ChangeNow fait partie d’une série de grands-messes climatiques évoquées précédemment, censées réunir et mettre en mouvement les changemakers (investisseurs et entrepreneurs verts, responsables en RSE et d’ONG…) pour réaliser les objectifs de l’Accord de Paris. Dans mon texte, je m’interrogeais sur l’utilité de ce genre d’évènements, sur leur dimension purement performative, et sur les dangers associés: création et entretien (à tout prix) d’une illusion d’action en décalage avec la réalité, déroulement du tapis rouge aux gros émetteurs qui font passer leurs paroles pour des actes…
Je n’étais pas le seul à ouvertement critiquer ChangeNow. Lors du troisième et dernier jour du sommet, des activistes du groupe Anti-Tech Resistance ont brièvement occupé l’une des scènes. Ils ont appelé à se mobiliser contre le «système industriel» et dénoncé «les discours mensongers et [les] fausses solutions» promus dans ce «sommet du Greenwashing».
L’action d’Anti-Tech Resistance et la publication de mon texte suscitèrent pas mal de réactions, en premier lieu parmi les participant·es et/ou ancien·nes participant·es. Certain·es dénoncèrent des «critiques faciles». D’autres acquiescèrent. Plusieurs réactions et commentaires (notamment sur Linkedin) évoquèrent la dimension quasi thérapeutique de ces évènements. On se rend à Changenow pour se faire du bien. Pour se rassurer. Pour se «réénergiser» dans un contexte géopolitique difficile et anxiogène. Oui, notre rôle de chief sustainability officer dans une multinationale de la mode a un sens. Oui, c’est possible de combiner maximisation des profits, transition bas carbone et avancement de carrière. En payant sa place (490 euros hors taxe), on s’offre trois jours d’entre-soi et de «positive attitude».
Telle une scène du film The Truman Show, les activistes d’Anti-Tech Resistance ont percé la bulle. Le temps de leur action, il y avait de la friture sur la ligne. Provoquant un mélange d’incompréhension (est-ce que c’était prévu?) et de gêne dans un auditoire qui n’avait pas payé pour ça. Et une reprise en main éclair des organisateurs pour rassurer tout le monde. «A ceux qui disent que ChangeNOW est le sommet du greenwashing, réagit Santiago Lefebvre, l’organisateur et fondateur de l’évènement, j’ai envie de dire qu’il y a ceux qui font la transition et ceux qui en parlent». Avant de poursuivre, «c’est un événement de ceux qui la font à tous les niveaux: de l’ONG, de l’activisme, du scientifique, de l’artiste, des entrepreneurs, des entreprises, des politiques qui s’engagent.» Ami·es changemakers, répétez toutes et tous en cœur: Vous faites la transition. Vous êtes du bon côté de l’histoire.
Se sentant visées, certaines figures du débat climatique présentes à ChangeNow en ont rajouté une couche. Sur le réseau Linkedin, François Gemenne s’en est ainsi pris à ceux qui passent leur temps à critiquer sans rien faire: «Avant de faire profession de critiquer les autres (et je sais que chez certains, c’est un job à plein temps), nous explique-t-il, il me paraît quand même utile de pouvoir s’interroger sur ce que l’on a fait soi-même pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre.» Accuser les voix critiques d’être des donneuses de leçons en donnant soi-même des leçons: Chapeau l’artiste!
Présent à ChangeNow et nommément épinglé par Anti-Tech Resistance, le réalisateur et activiste Cyril Dion y a consacré une de ses chroniques mensuelles sur France Inter. Dans sa chronique intitulée «Peut-on être écolo et avoir un smartphone?», Dion assimile l’action d’Anti-Tech Resistance (et ma chronique) à un procès en pureté contre sa personne et toutes celles et ceux qui participent à ce genre d’évènements. Il s’agit ni plus ni moins d’une remise en cause de ses convictions et de son engagement écologistes, et de son droit à s’exprimer sur le sujet. «A quel degré de pureté doit on arriver pour se prétendre écolo et avoir le droit de parler sur le sujet?» s’interroge-t-il. Et d’ajouter: «Est-ce qu’on peut vraiment se considérer écolo tant qu’on continue à avoir un impact destructeur sur le vivant?» «C’est un des jeux préférés des militants, surtout à gauche, lâche-t-il. Si on n’est pas pur (au moins en pensée), on se tait.» Cyril Dion bâillonné par une poignée d’activistes anti-tech (et ma pomme). Avouons que c’est plutôt cocasse de la part d’une personnalité publique, et de surcroit, en direct sur France Inter à une heure de grande écoute…
En présentant les critiques comme une attaque ad hominem et comme une remise en cause de son engagement et de son droit à s’exprimer, Dion s’évite une réflexion de fond sur l’utilité de ChangeNow et les autres grands-messes climatiques de ce genre. Il s’évite une réflexion sur la vision de la transition bas carbone et le projet politique qui les sous-tendent. Et enfin (et surtout) sur l’intérêt de sa propre participation et association (en tant que personnalité publique) à ce genre d’évènements. Et tout cela en caricaturant les autres au passage. «Peut-on être écolo et avoir un smartphone?». Sérieusement??? Mais bon, au moins il sera réinvité l’année prochaine.