Au-delà des mensonges, au-delà des dénis, au-delà d’un rapport d’inspection tronqué, au-delà d’un temps passé, il y a dans l’affaire des sévices et des abus de l’institut catholique pyrénéen Bétharram, qu’on l’admette ou qu’on ne l’admette pas, des victimes. Des victimes qui étaient jeunes hier et qui sont devenues des retraités traumatisés d’aujourd’hui. Certains, les plus forts, ont puisé dans leur résilience pour oublier. D’autres, plus faibles, sont restés marqués à vie par les raclées reçues ou les violences sexuelles subies. Pour les uns comme pour les autres, il ne peut pas y avoir d’oubli, il ne peut pas y avoir de pardon.
Dans ce cas particulier, c’est un institut catholique qui est concerné mais ça aurait pu être n’importe quel autre d’une confession différente. La violence n’est pas propre à un ordre religieux, elle peut aussi être laïque. C’est même la composante de base de toutes nos sociétés qui, en apparence, donnent une bonne image d’elles-mêmes mais qui en coulisse s’autorisent les pires vacheries, les pires coups tordus. Nous baignons dans une violence permanente, morale, hiérarchique, de classe, qui, Dieu soit loué, ne se traduit pas majoritairement par des coups de poing, de couteau, de feu. La violence est diffusée en permanence par les inégalités, par les statuts sociaux, par les moyens financiers, par les appartenances familiales, par les hiérarchies, par le travail, par les pressions sociales et politiques.
Ce n’est pas visible à première vue, tant la construction du quotidien est corsetée par les attitudes, les habitudes et par les médias images. Un homme, une femme qui fait faillite, n’est-ce pas violent? Une famille qui tire le diable par la queue, n’est-ce pas violent? Un couple qui n’a pas les moyens d’offrir des études supérieures à ses enfants, n’est-ce pas violent? Un·e rom qui se fait chasser du centre-ville pour cacher la mendicité, n’est-ce pas violent? Une personne à l’AI recevant 3200 francs par mois et devant payer l’équivalent en impôt sur une année (canton de Vaud), n’est-ce pas violent? A tous les étages du jour et de la nuit il n’y a que violences permanentes, diffuses. Et, si l’on a la chance que tout baigne et que la vie soit un long fleuve tranquille, c’est que l’illusion marchande remplit bien sa fonction.
La discipline déviante de Bétharram, c’est une mise à l’épreuve du pouvoir et de toutes les violences qu’il incarne car il faut savoir que les mots, les non-dits, les silences, les ostracismes, les qu’en-dira-t-on, les mesquineries, les insinuations sont malheureusement aussi des tueurs en puissance. Car la règle d’or, comme l’a bien écrit Michel Houellebecq dans un sens différent, est et sera toujours la soumission.
Léon Meynet, Chêne-Bougeries (GE)