De toutes les activités quotidiennes, ce sont les loisirs qui génèrent les plus grandes distances de déplacements dans la région, et plus de 70% d’entre eux sont réalisés en voiture. La fin de la saison de sports d’hiver est l’occasion de questionner la gestion des déplacements vers les stations de montagne. Entre crise environnementale et congestion des infrastructures de transports, il est nécessaire de se demander s’il faut attendre qu’il n’y ait plus de neige avant de renoncer au ski. Doit-on passer la journée dans les bouchons avant d’envisager un autre moyen de se rendre en station? Doit-on reconsidérer plus largement notre rapport aux loisirs, bastion de la liberté individuelle?
Parmi les paradoxes qui complexifient ces enjeux, on observe que les réseaux routiers vers les stations sont surchargés pendant les weekends, alors que les stations de basse et moyenne montagne disparaissent par manque de neige et de fréquentation. Les flux de voitures ne cessent alors de se concentrer vers les mêmes destinations, toujours plus lointaines, toujours plus hautes. En Suisse romande, le Jura et les Préalpes peinent ainsi à être attractifs face à la haute montagne, tant pour les balades et randonnées estivales que pour les sports d’hiver.
Le choix du mode de déplacement semble aussi surdéterminé. On observe que l’âge, ou bien la présence d’enfants dans le ménage, sont plus déterminants que le niveau de revenu pour expliquer les comportements de mobilité. Non pas que le portefeuille n’ait aucun rôle dissuasif à l’usage des transports publics, mais l’explication semble être ailleurs. En effet, les usagers de la montagne rajeunissent en hiver – lorsque la randonnée laisse place au ski – et que les stations se peuplent d’enfants. La conséquence est une offre de transports publics inadaptée en hiver aux familles chargées d’affaires et d’enfants, et contraintes à des vitesses lentes par le relief. Les transports publics sont donc peu compétitifs face à la flexibilité de la voiture.
Par ailleurs, les structures de transports peinent à s’adapter. Elles n’ont jamais pris le tournant de la démocratisation massive des sports d’hiver en se reposant sur des réseaux parfois centenaires, et doivent maintenant rattraper ce retard tout en anticipant le virage imposé par le dérèglement climatique, qui rebat à la fois les cartes de la durabilité des transports et de la transformation inévitable des loisirs en montagne.
Alors que les sports d’hiver étaient pendant des décennies des activités réservées soit aux locaux, soit aux plus aisés, l’augmentation de la population suisse, le développement des axes routiers ainsi que la popularisation des activités de montagne ont exacerbé les enjeux de l’accès à ces loisirs menacés par des températures en hausse. Que faire alors? Les sports d’hiver doivent-ils redevenir exclusifs? Doivent-ils perdurer coûte que coûte? Doit-on accepter qu’ils disparaissent? Que faire ensuite?
Ces questions restent sans réponses, tant qu’aucune décision forte n’est prise pour endiguer un système qui court à sa perte. Contraindre la population n’est jamais apprécié, et contraindre les loisirs est d’autant plus crispant. Pourtant, des solutions doivent émerger. Des bouquets tarifaires «train+forfait» existent déjà, par exemple, mais ils sont souvent trop peu visibles ou intuitifs et ne règlent pas les questions du déficit de praticité en famille, tandis que de timides tentatives de diversification des activités apparaissent sans restaurer l’attractivité de la basse et moyenne montagne.
L’enjeu n’est donc pas d’éliminer du paysage la voiture nécessaire aux familles et aux ruraux, ou de fermer toutes les stations en condamnant une économie régionale, mais de déplacer les personnes qui le peuvent dans un transport public et d’engager une politique volontariste de diversification de l’économie récréative de la montagne. Pour cela, les pouvoirs publics doivent avoir le courage d’expérimenter, de tester et peut être même d’échouer, avant qu’aucun choix ne soit plus possible et que l’on crie à l’entrave de nos loisirs.