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Qui a «pété un câble»?

Plusieurs pays européens ont eu tôt fait d’accuser la Russie de sabotage à propos des ruptures successives de câbles sous-marins en mer Baltique. Même si les incidents de ce type s’avèrent courants dans le monde, que l’intentionnalité russe n’a pu être établie ou que des enquêtes sont encore en cours. Il n’empêche, relève Pierre Rimbert, le soupçon à la vie dure.
Baltique

Les 17 et 18 novembre 2024, des opérateurs télécoms détectent la coupure de deux câbles posés sur le plancher de la mer Baltique pour relier la Suède à la Lituanie et la Finlande à l’Allemagne. Des enquêtes sont ouvertes mais, rapporte Le Monde, «six pays européens – dont la France – n’ont pas attendu pour accuser les Russes d’attaques hybrides ‘sans précédent par leur variété et leur ampleur’ contre des pays de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne» (19 novembre). L’incident n’a pourtant rien d’extraordinaire: selon l’Association européenne des câbles sous-marins, cent cinquante à deux cents événements de ce type surviennent chaque année dans le monde. L’organisme met en garde contre les «spéculations prématurées sur les causes, qui peuvent conduire à la diffusion d’informations erronées»1> Cf. Jane Ruffino, «Baltic Subsea cables: A story of resilience, not fear», 22 novembre 2024, https://pulse.internetsociety.org. Mais les responsables européens, eux, y voient un complot russe. «Personne ne croit que ces câbles ont été coupés accidentellement», peste le ministre de la Défense allemand le 19 novembre. D’autant que le jour de Noël une ligne électrique sous-marine entre l’Estonie et la Finlande est à son tour sectionnée. Réunis le 14 janvier 2025, les chefs d’Etat et de gouvernement d’Allemagne, du Danemark, d’Estonie, de Finlande, de Lettonie, de Lituanie, de Pologne, de Suède, ainsi que le secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et un haut représentant de la Commission européenne menacent: «Nous sommes déterminés à dissuader, détecter et contrer toute tentative de sabotage. Toute attaque contre nos infrastructures fera l’objet d’une réponse ferme et déterminée. (…) L’utilisation d’une ‘flotte fantôme’ par la Russie constitue une menace particulière.» Puis, comme par enchantement, ce gravissime sabotage qui devait entraîner une réponse musclée n’intéresse plus personne en Europe, à l’instar du gazoduc Nord Stream deux ans et demi plus tôt.

Et pour cause. Fin janvier, le Washington Post publie un article explosif: «Les enquêtes menées par les Etats-Unis et une demi-douzaine de services de sécurité européens n’ont pas permis d’établir que les navires commerciaux soupçonnés d’avoir traîné des ancres sur les fonds marins l’avaient fait intentionnellement ou sur ordre de Moscou. Au contraire, selon les responsables américains et européens interrogés, les preuves recueillies à ce jour – y compris les communications interceptées et d’autres renseignements classifiés – font état d’accidents causés par des équipages inexpérimentés travaillant à bord de navires mal entretenus2> Robyn Dixon, Greg Miller et Isaac Stanley-Becker, «Accidents, not Russian sabotage, behind undersea cable damage, officials say», Washington Post, 19 janvier 2025..» Quelques semaines plus tard, le Wall Street Journal (8 mars) raconte l’arraisonnement à grand spectacle d’un tanker russe le 26 décembre 2024 par la police finlandaise qui le suspectait d’avoir volontairement coupé la ligne électrique la veille. Las! «N’ayant trouvé aucun lien entre le câble rompu et le Kremlin ou tout autre gouvernement, les dirigeants finlandais ont libéré le navire.»

Ministre des armées français, M. Sébastien Lecornu incriminait toujours, le 9 mars dernier, «la flotte fantôme civile russe qui s’en prend à des câbles sous-marins» (La Tribune Dimanche). Soupçonne-t-il le Kremlin d’avoir également pris le contrôle du Washington Post et du Wall Street Journal?

Notes[+]

Article paru dans Le Monde diplomatique d’avril 2025, www.monde-diplomatique.fr