A côté d’une énième version de père maternant, une figure inédite de femme célibataire sans enfant. Second long métrage de Carine Tardieu après Les Jeunes Amants (2022), L’Attachement (2025) aborde un sujet contemporain: les formes diverses d’attachement entre adulte et enfant, favorisées par les familles recomposées, relativement nombreuses en France.
Sandra (Valeria Bruni Tedeschi), une libraire quinquagénaire qui assume sereinement son célibat, est sollicitée par ses voisins de palier pour garder Elliot, un garçon de 7 ans, dont la mère part accoucher. Mais quand Alex (Pio Marmaï) vient récupérer l’enfant, c’est pour lui annoncer que sa mère est morte. A partir de là, Sandra va se trouver embarquée dans une relation imprévue avec le petit garçon et avec son père, submergé par le deuil et le bébé dont il a désormais la charge.
Passons sur la faible probabilité aujourd’hui en France de la mort «en couches», comme on disait autrefois. Outre la dimension émotionnelle du deuil qui s’impose aux spectateur·rices, cette disparition évite d’avoir à traiter de la situation plus fréquente, mais plus compliquée émotionnellement, d’un couple qui se sépare avec un ou des enfants en (très) bas âge.
Ici, la mère est morte donc le partage de la garde ne se pose pas. Et le fait, statistiquement très rare, d’un père qui prend la charge entière des enfants devient une obligation. Le scénario en rajoute une couche puisque le père biologique d’Elliot n’est pas Alex, mais le compagnon précédent de la mère, David (Raphaël Quénard).
Le cinéma français contemporain est rempli, en dépit de la réalité sociale, de pères maternants (biologiques ou non) qui assument courageusement la charge d’enfant(s) en lieu et place d’une mère défaillante. Le plus troublant est qu’un certain nombre de ces films sont écrits et réalisés par des femmes (Jeanne Herry, Claire Burger, Eva Trobisch, Audrey Diwan). Faut-il y voir une attirance pour l’utopie, ou l’aspiration à un monde meilleur? Auquel cas on se demande pourquoi faut-il que la mère disparaisse pour que le père assume ses responsabilités… comme c’était déjà le cas dans l’énorme succès de Coline Serreau, Trois hommes et un couffin (1985), qui apparaît rétrospectivement comme la matrice de ce courant.
Le profil de «gentil nounours» de Pio Marmaï contribue à créer de l’empathie avec le personnage, mais on remarquera que son travail (dans la banque) n’a aucune existence dans la fiction: le film n’abordera pas des questions aussi triviales que la difficulté de s’occuper seul d’un bébé quand on travaille à plein temps. Et le seul babysitter qu’on voit est un homme, un autre pied de nez à la vraisemblance.
Il faut mettre au crédit du film une figure relativement inédite au cinéma, incarnée par Valeria Bruni Tedeschi, celle d’une femme investie dans son travail, célibataire sans enfant, et sans désir ni regret de maternité. Mona Chollet a exploré dans ses derniers ouvrages (Sorcières, 2018, Réinventer l’amour, 2021, Résister à la culpabilisation, 2024) cette réalité sociale et les résistances de toutes sortes qu’elle suscite encore dans la société française.
Intellectuelle et féministe, Sandra accueille avec simplicité la demande d’affection du petit garçon et se montre capable d’aider le père, sans pour autant se tromper sur la nature de l’attachement de cet homme en deuil. Le scénario nous évite intelligemment la romance entre Alex et Sandra, mais aussi entre Sandra et Elliot. Même si leur rencontre est importante, elle ne remet pas en cause les choix de vie de Sandra, concrétisés par son déménagement qui met fin à leur intimité de voisinage.
En revanche, un personnage est insuffisamment travaillé: David, le père d’Elliot incarné par un Raphaël Quénard avec moustache (ce qui n’augmente pas son sex-appeal). Il fait irruption lors des obsèques de son ex et propose à Alex traumatisé de reprendre Elliot. Le petit garçon ira s’installer chez son père, revenant chez Alex certains week-ends, avant que David ne propose à Alex d’en reprendre la garde pour ne pas séparer les deux enfants (la petite Lucille a grandi). Il y a une certaine désinvolture de la part des scénaristes à trimballer sans coup férir l’enfant d’un foyer à l’autre, quand on sait à quel point il est douloureux pour les enfants de changer de domicile, d’école et d’environnement familial.
A côté de ces approximations scénaristiques dont le cinéma français est malheureusement coutumier, on saluera la présence de deux grandes actrices devenues trop rares: Catherine Mouchet, la sublime Thérèse d’Alain Cavalier (1986), qui incarne ici la grand-mère maternelle du bébé, dont on aurait aimé que le film lui donne un rôle plus dynamique. Et Marie-Christine Barrault, dans le rôle de la mère de Sandra, qu’on redécouvre le temps d’une scène de dîner très drôle, où les deux générations de femmes discutent féminisme, avec des échanges plus intéressants que ce que propose ce scénario inabouti.