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Des initiatives pour protéger les locataires

Le logement en question

Le Conseil national a décidé de poursuivre le traitement de la proposition des milieux immobiliers concernant les loyers en usage dans le quartier. Le Parlement s’apprête ainsi à modifier la loi pour que les bailleurs puissent refuser aux locataires leurs demandes de baisses de loyer et également pour faciliter les congés dits «économiques».

Cette décision intervient dans un contexte défavorable. Le Tribunal fédéral a rendu en janvier un énième arrêt contre la protection des locataires1>Arrêt 4A_230/2024 du 21 janvier 2025.. La première Cour de droit civil a en effet dédouané un bailleur qui refusait de fournir les renseignements nécessaires pour que la contestation du loyer initial d’un locataire aboutisse. Avec ce changement de jurisprudence, les bailleurs pourront contourner le calcul de rendement (loyer fixé selon les coûts). Après la décision du Tribunal fédéral, la modification que le Parlement s’apprête à adopter prend ainsi tout son sens pour les bailleurs.

L’Asloca répond à ces attaques avec deux initiatives populaires, l’une au niveau fédéral et l’autre au niveau cantonal genevois. Cette dernière prévoit d’étendre le droit de préemption aux immeubles bâtis et de le rendre obligatoire dans certains cas de figure. L’initiative a été déposée au Service des votations début mars. Dès sa validation – qui ne fait aucun doute s’agissant d’une validation formelle – la récolte des signatures pourra commencer.

Le droit de préemption permet à une collectivité publique de se porter acquéreuse d’un bien immobilier à la place de la personne initialement prévue par le vendeur. La préemption n’est pas une expropriation, puisque la collectivité ne peut agir que si le propriétaire a décidé de vendre. L’Etat ou la commune ne peut pas forcer la vente. Il s’agit d’un instrument de politique du logement éprouvé et préconisé en particulier par l’Union des villes suisses. Ce droit existe à Genève en faveur du canton et des communes, mais uniquement pour l’acquisition de terrains, contrairement au canton de Vaud où des immeubles bâtis peuvent être préemptés.

Pour respecter le principe de la proportionnalité, préempter ne sera possible que si la pénurie de logements touche une des catégories d’appartements visés. L’initiative exclut par ailleurs la préemption de logements de standing (duplex, avec piscine, décorations en marbre, etc.).

Pour financer les acquisitions, l’Etat ou les communes pourront compter sur une partie des 35 millions de francs inscrits chaque année au budget pour alimenter le fonds LUP [destiné à la construction de logements d’utilité publique]. C’est un acquis important obtenu par l’Asloca, en contrepartie du retrait d’une initiative, il y a un peu plus d’une décennie – une bonne affaire pour les locataires. Ce mode de financement via le fonds LUP constitue une option. Les collectivités pourraient également utiliser leur patrimoine financier ou des fonds de tiers, étant rappelé que la politique du logement est en général autofinancée. Les communes auraient la priorité, mais celles qui ne souhaiteraient pas faire usage du droit de préemption pourraient céder la place à l’Etat. L’autonomie communale serait donc respectée.

La politique du logement ne doit cependant pas être laissée au bon vouloir des majorités politiques. L’initiative prévoit donc de rendre la préemption obligatoire lorsque l’acheteur cherche à spéculer. Tel est le cas lorsqu’il concède un prix d’achat surfait – qui ne manquera pas de se répercuter sur les locataires actuels et futurs. De fait, ayant la certitude de pouvoir relouer beaucoup plus cher, de nouveaux acquéreurs sont prêts à débourser des sommes faramineuses. Ces opérations se soldent bien souvent par des résiliations de baux en vue d’une augmentation massive du loyer, puisque son montant est fixé notamment en tenant compte du prix d’acquisition. Ces loyers exorbitants sont très difficilement contestables avec le droit existant. Il faut donc empêcher les ventes à des prix excessifs qui aggravent considérablement la crise du logement.

Encore faudra-t-il que les collectivités publiques n’achètent pas à prix surfait. La loi cantonale prévoit déjà un mécanisme de fixation du prix de l’immeuble préempté par une commission d’experts.

Cette initiative est un pas en avant déterminant pour sauvegarder des logements encore abordables et les soustraire à la spéculation. Elle complète utilement la protection des locataires prévue par le droit fédéral, en particulier contre les congés et les loyers abusifs.

Notes[+]

Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. L’auteur de cette chronique s’exprime à titre personnel.

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