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Le Mexique pionnier avec sa loi sur la «nutrition adéquate et durable»

A votre santé!

En Suisse, il existe bien, depuis 2017, une loi sur le droit à l’alimentation. Laquelle vantait au moment de son entrée en vigueur: «Une meilleure protection de la santé et contre la tromperie, moins de barrières au commerce: telles sont les pierres angulaires de la nouvelle législation suisse sur les denrées alimentaires.» Une évaluation de sa mise en application, en 2021, révélait qu’«il existe un déséquilibre considérable dans la représentation des intérêts par l’industrie alimentaire d’une part et par les consommatrices et consommateurs d’autre part».

Cela n’a pas empêché le Conseil national d’enterrer l’idée de rendre le Nutri-Score obligatoire il y a un an et Migros, dans la foulée, de décider d’y renoncer complètement. Récemment, un groupe de médecins s’en est insurgé, rappelant qu’«en Suisse, 43% de la population est en obésité ou en surpoids, [et que] cela est lié à une alimentation malsaine [sucres, sels, graisses ajoutés dans les produits alimentaires, ou produits ultratransformés]». Ces médecins insistaient sur les bienfaits avérés du Nutri-Score, étayés par près de 150 études scientifiques démontrant son impact positif sur la consommation et la prévention de maladies chroniques telles que le diabète, l’arthrose et certains cancers.

Par ailleurs, on apprenait en février dernier que l’utilisation de deltaméthrine, un insecticide hautement toxique, «ne sera[it] soumise à aucune valeur limite en Suisse, les services du conseiller fédéral Albert Rösti [ayant] repris une recommandation en ce sens de l’Union suisse des paysans (USP)». Tandis que, cette semaine encore, il était question d’un lobby occulte sous la Coupole, qui viserait à affaiblir la protection des eaux.

Ces exemples montrent bien que nos autorités, sous l’influence des lobbys de l’agro-alimentaire qui noyautent aussi l’USP (à l’encontre des petits paysans, d’ailleurs), ne considèrent pas le lien important entre alimentation, santé et biodiversité, en ne répondant qu’à une vision économique de la question – produire plus! – sans soutenir adéquatement les alternatives de production que les services de l’Etat eux-mêmes proposent parfois!

Hélas, cela s’inscrit dans une tendance européenne, dont la commission présidée par Mme von der Leyen a revu à la baisse les ambitions de «transition écologique». Elle a aussi récemment refusé de rendre obligatoire la généralisation du Nutri-Score, sous la pression entre autres du gouvernement italien. En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dont l’expertise est reconnue internationalement, est menacée par une loi, déjà approuvée par le Sénat et qui sera débattue prochainement à l’Assemblée nationale, qui obligerait l’institution à informer ses tutelles avant de publier ses avis et recommandations, lui enlevant toute indépendance.

A contrario, le Mexique a promulgué, il y a un an, une «loi générale sur l’alimentation adéquate et durable». Parmi les quelque 133 pays qui ont adopté des actions uniques telles que l’étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages (comme Nutri-Score) et, pour 43 d’entre eux, des taxes sur les aliments riches en matières grasses, en sucre et en sel (HFSS), aucun n’intègre la prévention des maladies non transmissibles (MNT) et la durabilité de manière aussi complète que la nouvelle loi mexicaine. Une loi qui arrive à point nommé: le Mexique est confronté à des taux élevés d’obésité et de maladies non transmissibles liées à l’alimentation, notamment le diabète de type 2 (le plus haut taux mondial). Elle vise à établir un cadre solide pour promouvoir, sauvegarder et garantir le droit à une nutrition adéquate, et le lie étroitement aux droits de l’homme fondamentaux.

L’une des caractéristiques prometteuses de la loi mexicaine est son cadre de gouvernance qui s’appuie sur les organes et structures gouvernementaux existants, évitant ainsi la création d’institutions ou de couches bureaucratiques supplémentaires pour sa mise en œuvre. Avec plusieurs de ses articles mentionnant des changements dans l’environnement alimentaire, la loi soutient l’importance de nouveaux programmes et actions visant à améliorer la disponibilité, l’accessibilité financière et la promotion des aliments nutritifs, tout en réglementant la commercialisation des aliments ultratransformés et HFSS. La loi reconnaît aussi la souveraineté alimentaire et l’autoproduction, en encourageant l’abandon des modèles de production industriels néolibéraux qui compromettent souvent la biodiversité et encouragent l’utilisation excessive de produits agrochimiques (par exemple la culture des avocats essentiellement tournée vers l’exportation).

Cette loi incarne un cadre législatif complet et fondé sur les droits pour parvenir à une nutrition saine et durable pour tous; elle prend en compte les recommandations de l’OMS. Un modèle dont les autres pays pourraient s’inspirer.

Bernard Borel est pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.

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