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Le Japon, géant oublié

Mais où est passé le Japon? Il fut un temps, dans les années 1980, où Tokyo attirait tous les regards. Mais depuis une trentaine d’années, le pays semble avoir disparu dans l’ombre de Washington. L’élection de Donald Trump aux Etats-Unis contribuera-t-elle à redonner sa voix à l’Archipel? Le dernier numéro de Manière de voir «Japon, Extrême-Orient ou Extrême-Occident?» livre huit articles inédits, dont deux grands reportages dans les îles Kouriles et à Okinawa, ainsi qu’une plongée dans les «unes» de presse au cœur de la nippophobie des années 1980.
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Parfaitement similaires, mais totalement différentes. Voici le paradoxe des trajectoires chinoise et japonaise dans leur relation aux Etats-Unis. Similaires car la «menace chinoise» qui alarme aujourd’hui Washington fait écho au «péril japonais», lequel faisait la «une» des journaux occidentaux au cours des années 1980. A l’époque, déjà, un certain Donald Trump dénonçait l’attitude de Tokyo, qui «profitait» des Etats-Unis, et qu’il convenait de «taxer» davantage. Mais également différentes car les conditions d’émergence du Japon comme deuxième puissance économique mondiale à partir de 1968 sont directement liées à la tutelle que les Etats-Unis imposèrent à leur ancien adversaire après l’avoir occupé de 1945 à 1952. Cette singularité japonaise, à laquelle a échappé la Chine, éclaire la trajectoire de l’Archipel depuis 1945. Elle offre sa thématique à cette nouvelle livraison de Manière de voir1>«Japon, Extrême-Orient ou Extrême-Occident?», Manière de voir, no 200, avril-mai 2025, bimestriel édité par Le Monde diplomatique..

La première partie relate le contexte de la formidable croissance japonaise. Alors que Washington souhaitait initialement transformer le pays en modèle de démocratie dans une région jugée prisonnière de formes plus ou moins archaïques de féodalisme, la victoire des communistes en Chine (1949) et la guerre de Corée (1950-1953) changent la donne. Les priorités américaines pour Tokyo mutent: non plus démocratie et pacifisme, mais croissance et anticommunisme. Les élites locales applaudissent. Jusqu’à ce que leur réussite finisse par faire de l’ombre à celle des Etats-Unis. Washington décide alors de briser son allié: la dépendance dont le Japon avait profité se retourne contre lui. Son économie ne s’en est toujours pas remise.

Le peuple japonais avait payé le prix de la forte croissance; il règle également la note de la stagnation, comme le montrent les articles du deuxième chapitre de ce Manière de voir. Souffrance au travail, solitude, pesanteurs patriarcales et retour en force du conservatisme d’avant-guerre, le Japon «modèle» d’hier devient parfois un Japon dystopique, repoussant toujours plus loin les excès du capitalisme ­moderne.

A tel point que la population fond dans des proportions préoccupantes. Deux menaces poignent désormais à l’horizon, auxquelles est consacré le dernier chapitre: le vieillissement et la guerre. Car la Chine n’est pas le Japon, et Washington ne parvient pas à la domestiquer. La possibilité d’un conflit pointe de nouveau au loin et rappelle les Japonais au rôle que les Etats-Unis leur attribuent: celui de «porte-avions insubmersible».

A moins que le géant ne se réveille, et ne fasse de nouveau entendre sa voix au monde.

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